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Jacob, Max (1876-1944)

Contents


Biographie

Années de formation

Destin d'un patronyme masqué

Max Jacob nait 14 rue du Parc à Quimper Corentin, à l'entresol du café qui fait l'angle de la rue Saint François, dans une famille juive qui ne pratique pas, ne serait ce qu'en raison de l'absence de coreligionnaires et de synagogue. Son grand père paternel, Samuel Alexandre, est un colporteur né dans la Sarre française dans une famille de maquignons, qui avait immigré dès l'âge de treize ans pour parvenir en 1858 à Quimper, où il fit fortune dans la confection. Aidé de ses deux fils, il ouvre en 1870 plusieurs succursales, dont un magasin qui vend toute sorte d'objets bretons, pratique des campagnes publicitaires et remporte plusieurs prix d'expositions universelles. Le couturier, en abondant dans le sens d'une stylisation « celtisante » inspirée en particulier des motifs gravés du cairn de Gavrinis, a une influence certaine sur la mode bretonne.

Le père de Max Jacob exerce un métier à part, kemener, c'est-à-dire tailleur-brodeur. C'est un métier estimé par les coquettes bretonnes et les bourgeois de Quimper mais socialement méprisé au regard des préjugés relatifs à la virilité qu'ont les Bretons de cette époque. Quand Lazare Alexandre épouse en 1871 une parisienne, Prudence Jacob, il est, au sein de l'entreprise paternelle, à la tête d'une équipe de « tennerienou neud », brodeurs travaillant à domicile. Les Jacob possèdent des ateliers de confection à Lorient et c'est sous cette marque que l'entreprise Alexandre développe sa notoriété. Madame Alexandre, née Jacob, donne à ses trois cadets pour second prénom Jacob, Gaston Jacob, Max Jacob, Jacques Jacob. Samuel Alexandre et ses fils font changer leur nom à l'état civil le {{date-}} et adoptent officiellement le matronyme Jacob sous lequel ils sont connus de leurs clients. « Jacob » a en outre l'avantage d'être, comme beaucoup de prénoms bibliques, un patronyme typiquement cornouaillais. Max Jacob Alexandre a douze ans quand il devient Max Jacob.

Enfance bretonne (1876-1894)

cathédrale Saint Corentin]] où il n'avait pas le droit de rejoindre ses camarades. Le petit Max passe, au premier étage d'une élégante maison neuve sise 8 rue du Parc le long de l'Odet, une enfance confortable imprégnée de légendes et de la ferveur catholique des pardons qu'exaltent la défaite de 70, l'implication du clergé dans le revanchisme et la Grande Dépression puis la politique de l'« esprit nouveau », mais de laquelle il souffre d'être exclu, particulièrement quand les processions défilent sous les six fenêtres du balcon. Il apprend l'orgue dans la cathédrale Saint Corentin avec son professeur de piano. Dès l'âge de huit ans, il s'amuse à prédire avec assurance l'avenir de ses camarades et fait des horoscopes. Il se moque des enfants bretonnants et joue aux « rêves inventés ». Battu par sa sœur et son frère aînés, il ne trouve pas de consolation auprès d'une mère railleuse, toute à sa toilette, et restera très attaché à la petite dernière, Myrthe-Léa, qui a huit ans de moins.

À quatorze ans, il est envoyé pour une année en consultation à Paris pour que Jean-Martin Charcot, qui pratique une psychothérapie fondée sur la suggestion, soigne sa nervosité débordante. À son retour, il entame une scolarité des plus brillantes, conversant souvent en privé avec ses professeurs, collectionnant les prix en histoire, en sciences naturelles, en allemand, en rhétorique. Il s'enthousiasme pour Baudelaire et Laforgue et, avec ses camarades les plus exaltés, essaie de lancer des revues littéraires qui fâchent le proviseur. En 1894, il obtient un huitième accessit au concours général de philosophie, et se voit proposer une bourse pour préparer le concours de Normale dans une classe du prestigieux lycée Lakanal, à laquelle il renonce.

Étudiant dans le Paris de la Belle Époque (1895-1898)

À la rentrée 1894, Max Jacob choisit de suivre à Paris les traces de son frère aîné Maurice « l'Africain » à l'École coloniale. Il s'y oriente pour devenir cadre dans l'administration coloniale de l'Indochine. Logeant à l'hôtel Corneille, rue Corneille, dans le quartier latin, il suit parallèlement le cursus de la faculté de droit de la Sorbonne.

Le 4 mars 1895, se suicide à Rennes, en se jetant dans la Vilaine, son meilleur ami, Raoul Bolloré, petit neveu de l'industriel Jean-René Bolloré et génie précoce dont il portera le deuil toute sa vie. Il échoue à tous ses examens et l'année scolaire 95-96 est une année de redoublement, et à la Faculté et à l'École. Dans celle ci, il prépare par anticipation les concours d'entrée dans l'administration pénitentiaire coloniale.

Réformé en décembre 1896 pour insuffisance pulmonaire au bout de deux mois de service militaire passé au 118{{e}} de ligne de Quimper, il attend la rentrée suivante dans une mansarde de la maison paternelle aménagée par lui en s'adonnant avec rage au piano et au dessin paysager mais en décembre 1897, au bout du premier trimestre de sa seconde année, il est conduit à démissionner de l'École coloniale. Renonçant aux rêves de voyages exotiques, il retourne pour quelques semaines à Quimper, où il retrouve son piano et son désœuvrement.

À vingt et un ans, attiré par le tourbillon de la fête parisienne, rêvant de devenir l'homme de lettres promis par le concours général, il profite de sa majorité pour retrouver, au grand dam de ses parents, en février 1898 Paris, où un collègue l'héberge provisoirement. Tout en continuant ses études de droit, logé d'une chambre misérable à l'autre, boulevard Arago puis rue Denfert-Rochereau, il tâche de gagner sa vie comme accompagnateur de piano puis animateur d'un cours de dessin dans une école communale et passe avec succès ses examens en décembre 1898. Il reçoit son diplôme de licence de droit, option droit maritime, le 6 janvier 1899.

Journaliste caractériel (1899-1901)

En décembre 1898, Max Jacob, introduit par le peintre et ami Fernand Alkan-Lévy auprès de Roger Marx et recommandé par celui ci, commence d'exercer comme critique d'art sous le nom de son grand père maternelle, Léon David, au Moniteur des Arts, ce qui lui permet de parcourir les expositions. En septembre 1899, il est promu rédacteur en chef de La Revue d'art, nouveau titre de la même revue.

Installé dans la carrière de journaliste, Max Jacob alias Léon David porte barbe et redingote. Il est devenu l'objet de la fierté familiale. Payé vingt francs, somme relativement considérable, par article hebdomadaire, il s'offre des cours de dessin à l'atelier dont Jean-Paul Laurens a confié à ses élèves l'animation au sein de l'Académie Julian.

Le ton condescendant et le style pédant par lesquels les articles de Léon David proclament la fin du classicisme agacent, au point que son directeur, Maurice Méry, dont l'épouse reçoit à dîner son protégé, se sent obligé de prendre la plume et défendre l'indépendance de ses journalistes. Lassé du métier d'écrivaillon tirant à la ligne et exaspéré par un lectorat conformiste, Max Jacob démissionne à la fin d'octobre 1899 et tombe malade. En janvier 1900, il revient prendre un poste de secrétaire de rédaction au Sourire, une revue satirique qui appartient au même groupe de presse Le Gaulois. Il y publie quelques articles, certains signés du nom de son directeur, Alphonse Allais, qui est un hydropathe habitué du cabaret montmartrois Le Chat noir.

C'est à Montmartre, chez Pedro Mañach, qu'en juin 1901, après en avoir admiré une des toiles exposées chez Ambroise Vollard, Max Jacob, qui a laissé sa carte à chaque fois qu'il passait à la galerie avec un mot pour le peintre méconnu, fait la connaissance de Pablo Picasso. Auprès du critique, le jeune peintre fraichement arrivé d'Espagne dont le compagnon d'infortune, Carlos Casagemas, perdu d'alcool, vient de se suicider, se familiarise au français et au Paris des arts.

Max Jacob, reconnu par la profession et estimé des peintres mais déçu par sa {{Citation}}, décide de tenter sa chance dans sa province. Il publie son dernier article dans Le Sourire le 21 décembre 1901, un poème intitulé en forme de sourire Enterrement, trois jours avant Noël.

L'aventure de l'art moderne

Le tournant Picasso (1902)

Rentré à Quimper, Max Jacob, à vingt quatre ans, s'essaie à divers métiers, dont celui de menuisier. Son espoir d'obtenir par relation un poste de petit fonctionnaire déçu, il retourne à Paris, où il trouve à louer une chambre quai aux Fleurs. Il se retrouve sans soutien et multiplie les emplois à l'essai. En 1902, il est clerc d'avoué, précepteur, employé de l'Entrepôt Voltaire.

En octobre 1902, Pablo Picasso, rencontré quinze mois plus tôt et reparti à Barcelone en janvier, revient à Paris. Les deux crève-la-faim s'entendent pour partager la chambre que Max Jacob loue boulevard Voltaire, et y dormir à tour de rôle, le poète la nuit, le peintre le jour. Pour payer sa part, Max Jacob accepte tout travail. Il vend des horoscopes dans les palaces, à des femmes du demi monde et à leurs clients, de faux princes russes.

La bohème montmartroise (1903-1907)

En janvier 1903, Pablo Picasso repart à Barcelone et Max Jacob emménage 33 boulevard Barbès, au pied de la bute Montmartre. Il entame une amitié indéfectible avec André Salmon, qu'en juin il a rencontré en même temps qu'Edmond-Marie Poullain au Caveau du Soleil d'or, au cours d'une des soirées de La Plume qu'organise Karl Boès et que fréquente aussi un ami de ce dernier, son ancien directeur Alphonse Allais. Il se lie aux autres peintres qui fréquentent au Chat noir, 68 boulevard de Clichy, la bohème montmartroise, Georges Braque, Henri Matisse, Amedeo Modigliani, mais aussi les critiques d'avant garde, dont Beatrice Hastings, et courtise une femme mariée, Cécile Acker, qui le désespère.

C'est la misère noire. Au Lapin agile et autres guinguettes, Max Jacob dépense avec ses amis le peu de pension qu'il reçoit de son père, plutôt que de se nourrir, en mauvais vin. Il survit grâce à de petits métiers, balayeur, garde d'enfants... Déguisé en disciple de l'École de Pont-Aven, il porte le costume glazic de son Quimper natal, s'initie en autodidacte à la poésie et à la gouache et essaie de vendre ses œuvres le soir dans les cafés du quartier interlope de Montmartre. Depuis Barcelone, Picasso lui conseille de renoncer à Cécile Acker, ce que le poète ne tardera pas à faire, et lui suggère d'écrire pour les enfants. Histoire du roi Kaboul {{Ier}} et de son marmiton Gauwain lui rapporte cent francs et un début de reconnaissance, le livre servant de prix scolaire.

En 1904, son cousin Gustave Gompel l'emploie dans la centrale d'achat que celui ci possède, Paris-France, mais son incompétence fait interrompre l'expérience au bout de huit mois. Il abuse en effet de l'éther, source de son inspiration. Au cours de cette année, Picasso lui présente un critique avantgardiste, Guillaume Apollinaire. La rencontre a lieu dans un bar de la rue d'Amsterdam, l'Austin's Fox. Il fait paraître en feuilleton, quatre épisodes, un conte pour enfants, Le Géant du Soleil dans le Journal des Instituteurs.

En 1907, il s'installe dans une des chambrettes du Bateau-Lavoir, 7 rue Ravignan, où habitent Pablo Picasso et Juan Gris. C'est Max Jacob qui avait donné le nom de « lavoir » à cette résidence d'artistes sordide dont l'escalier central évoque un bastingage quand Picasso s'y était installé trois ans plus tôt, car il n'y a qu'un seul et unique point d'eau dans toute la maison. Quasi mendiant, le soir, il passe dans les restaurants proposer ses poèmes aux clients. L'arrivée de Marie Laurencin, introduite par Henri-Pierre Roché dans la bande où, Suzanne Valadon faisant figure de matrone, elle est la seule jeune fille peintre, et non pas seulement un modèle, restructure le groupe autour des deux couples Laurencin-Apollinaire et Fernande-Picasso, l'éloignant un peu plus de ce dernier.

Un soir de juin, en compagnie des deux couples auxquels se sont joints Maurice Princet et la femme de celui ci, Alice, il expérimente le haschisch. En juillet, c'est lui que Fernande Olivier, rendue stérile par une fausse couche, charge de ramener à l'orphelinat la petite Raymonde, âgée de treize ans, que le couple a trois mois plus tôt envisagé d'adopter, orpheline à laquelle seul Max Jacob avait prêté un peu d'attention et que sa mère adoptive craignait de voir entraînée dans les fantasmes de Picasso depuis que celui ci avait commencé de dessiner l'adolescente nue. Il se fâche avec Guillaume Apollinaire pour une chansonnette grivoise sur Marie Laurencin, qu'il a composée et fait jouer dans un cabaret.

Vocation mystique (1908-1914)

Seul face à ses démons, Max Jacob étudie, en bibliothèque le jour, veillant la nuit, les textes mystiques, la Kabbale, le Zohar, l'Évangile, les Pères de l'Église, le bouddhisme, l'astrologie, l'occultisme. Toujours affamé, à l'éther, il ajoute les tisanes de jusquiame pour invoquer les démons mais ce qui lui arrive le {{date-}}, à l'âge de trente trois ans, est d'une toute autre nature. Alors qu'il rentre de la Bibliothèque nationale, l'image d'un ange lui apparaît sur le mur de sa chambre au 7 rue Ravignan : {{Citation}}. Il entoure l'apparition d'un cercle tracé sur le revêtement du mur. Élevé dans l'athéisme mais sensible aux racines juives de sa famille, il se convertit intérieurement au catholicisme.

À l'automne 1911, l'affaire du vol de la Joconde rompt les amitiés. Pablo Picasso, dans une crise de paranoïa agoraphobique au cours de laquelle il rase les murs pour éviter une police imaginaire, et s'enferme à triple tour, exclut celui qui est devenu le rival le plus talentueux, Juan Gris. Max Jacob reste reçu chez le couple Laurencin Apollinaire, auquel il prédit son destin tragique un soir de chiromancie, et c'est avec Juan Gris qu'en 1913 il séjourne à Céret, dans le Vallespir. Il y réalise une série de dessins du village. A son retour, il quitte le Bateau-Lavoir, que Pablo Picasso, désormais lancé, a déserté, et emménage à l'autre bout de la rue, 17 rue Gabrielle.

De 1913 à 1921, Max Jacob habite au bout de cette impasse de Montmartre, 17 rue Gabrielle (au fond, à hauteur des lanternes). À la fin de cette année 1913, il est de ceux qu'Apollinaire sollicite pour la nouvelle édition des Soirées de Paris, revue dont le peintre Serge Férat a confié la direction au Mal aimé. Jusqu'à l'éclatement de la première guerre mondiale, il fréquente, au cours des soirées mondaines organisées à Montparnasse, au siège de la revue, 278 boulevard Raspail, ou chez la baronne Oettingen, au 229, tout ce que la peinture, la littérature et la critique comptent de plus avantgardiste, sur le plan artistique autant que sur le plan moral, Irène Lagut, Maurice Raynal, Blaise Cendrars, André Salmon, Fernand Léger, Albert Gleizes, Marc Chagall, Sonia Delaunay...

En 1914, il achève par Le Siège de Jérusalem, {{Citation}} illustré par Pablo Picasso et Eugène Delâtre, le cycle de la transcription de son itinéraire spirituel commencé en 1911 à travers le personnage de Saint Matorel, auquel il ajoutera un codicille en 1921. Le {{nobr}}, il a une vision du Christ, durant une séance de cinéma. Deux mois après sa vision, le {{date}}, Max Jacob, âgé de quarante ans, reçoit enfin le baptême sous le patronage de Cyprien au couvent de Sion, rue Notre-Dame-des-Champs, Pablo Picasso étant son parrain. Il pense pouvoir partager son mysticisme avec le magnétique Amedeo Modigliani mais celui ci, comme Picasso précédemment, préfère se tourner vers les femmes.

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Le front de la révolution artistique (1915-1918)

Durant la Grande Guerre, Max Jacob, avec André Salmon, Paul Fort, Blaise Cendrars, Léon-Paul Fargue, Pierre Reverdy, découvre à la Maison des Amis du Livre, librairie qu'Adrienne Monnier a ouvert en novembre 1915, la jeune génération de l'intelligentsia, Jules Romains, André Breton, Philippe Soupault, Jacques Lacan, Jean Paulhan, Tristan Tzara, Jean Cassou, Louis Aragon. Il y rencontre André Gide et Paul Valéry. Il est sollicité pour rédiger des textes présentant les expositions de ses amis peintres.

Modigliani]], 1916.
Modigliani]], 1916.

Montparnasse]] en 1916. {{clr}}

En 1917, son père meurt à Quimper, où il est enterré avec les honneurs municipaux. Max Jacob édite à compte d'auteur Le Cornet à dès, chef d'œuvre par lequel il accède à la notoriété d'écrivain. Le titre répond au célèbre poème graphique du défunt Stéphane Mallarmé, Un coup de dès. C'est une construction inventive de trois cent poèmes en prose méditatifs et aphorismes, presque tous écrits avant la guerre : {{Citation}}. A l'instar de Pierre Reverdy, il qualifiera lui même cet enchaînement de tours de passe passe verbaux d'œuvre cubiste.

En 1918, Max Jacob se lie avec le jeune Raymond Radiguet, qu'il présente à Jean Cocteau mais qui, à l'insu de celui ci et sous une homosexualité duplice, profite, tel Pierre Roche, d'un Paris vidé de ses hommes pour multiplier les liaisons féminines, telle Irène Lagut. Le 9 novembre, il est avec Cocteau, Ruby, et Picasso au chevet d'Apollinaire quand celui ci expire à l'hôpital sous le tableau Apollinaire et ses amis qu'avait peint Marie Laurencin en 1908 et qu'il ont dressé dans la chambre pour évoquer les amours croisées d'antan. Le lendemain, au Sacré Cœur, il entend {{Citation}}, parole du Christ transfiguré s'adressant à ses disciples, et dessine la vision qu'il a du défunt devenu ange {{Citation}}

Un mélancolique dans les Années folles (1918-1920)

Aux folles soirées du comte et de la comtesse de Beaumont, Lucien Daudet se travestit en Spectre de la rose mais Max Jacob, lui, parait en robe monastique. Il se lasse du Paris des années folles et de lui-même, qui ne connaît pas la fortune de ses amis partis, direction « Nord Sud », pour Montparnasse. Il est logé et habillé misérablement. Picasso, devenu riche, s'est installé dans un grand appartement bourgeois de la place Clichy et a une domestique mais refuse à son ex-compagnon d'infortune l'aide financière qu'il lui demande pour pouvoir continuer à vivre à Paris.

Le Dos d'Arlequin, tentative de « synthèse du théâtre contemporain », ne suscite pas l'intérêt des spectaculaires et provocateurs Mamelles de Tirésias, Parade et Mariés de la Tour Eiffel mis en scène par la jeune génération. Celle ci pourtant, tel Michel Leiris en 1921, le découvre et l'admire, quand deux ans plus tôt Paul Dermée, qui appartient à la plus ancienne, assimilait, par maladresse à une époque où Jacques Lacan n'avait pas encore réhabilité la théorie aristotélicienne du fou génial ni Salvador Dali inventé celle de la paranoïa critique, son œuvre à une production déliquescente de malade mental, ce qui valut au critique d'être exclu du mouvement Dada. Francis Poulenc commande à Max Jacob Quatre poèmes. Les mélodies, achevées en juillet 1921, sont créées le 22 janvier suivant mais la mode change et, le compositeur lui même délaissant la polyphonie, il les reniera moins d'un an plus tard.

« Homme de lettres »

Désintoxication reconstruction (1921-1927)

Marianne avait un cheval blanc
Rouge par derrière noir par devant
Il avait une crinière
Comme une crémaillère
Il avait une étoile au front
Du crin sur les boulons
Il avait des sabots grenats
De la même couleur que vos bas
Où allez vous Marianne
Avec votre alezane
(...)
La Chanson de Marianne, mise en musique et chantée après guerre par Jacques Douai, est un des dix huit poèmes publiés en 1925.

Un an et demi après la mort prématurée de Modigliani, détruit par l'alcool, Max Jacob renonce définitivement aux psychotropes et en 1921, sur les conseils d'un ami prêtre, il s'exile à Saint-Benoît-sur-Loire, où il est hébergé au presbytère. Il accomplit des retraites parmi les bénédictins de l'abbaye de Fleury, qui abrite les reliques de Saint Paul Aurélien, premier évêque du Finistère. C'est là qu'il achève un long poème en vers qui exprime sa lente revertébration, La Laboratoire central.

Il fait de brefs voyages vers l'Italie, l'Espagne, sa Basse Bretagne natale, où il est reçu dans le cercle de Saint-Pol-Roux. Il reçoit les visites de ses amis, tel Jean Cocteau, en route pour la Côte. En 1926, son ami de quinze ans Pierre Reverdy, ayant rompu avec Coco Chanel, se retire définitivement à l'abbaye de Solesmes.

La figure des années trente (1928-1935)

Christopher Wood]], Max Jacob, 1929, musée des Beaux-Arts de Quimper. En 1928, il retourne à Paris, et s'installe aux Batignolles, 55 rue Nollet, dans un hôtel bon marché peuplé d'artistes, Jean Follain, Antonin Artaud, Georges Schéhadé, Henri Sauguet. Il passe régulièrement ses vacances au Tréboul, à l'hôtel Ty Mad, où le rejoignent des amis artistes, tel Charles-Albert Cingria. En juin 1930, il y retrouve le couple Francis Rose et Frosca Munster accompagné de leur amant, Christopher Wood, un peintre de vingt neuf ans qui a fait de lui un célèbre portrait et auquel les amis de Max Jacob prêtent une relation homosexuelle avec le poète de cinquante quatre ans. Moins d'un mois plus tard, Kit Wood, matériellement et moralement ruiné par ses toxicomanies, se suicide devant les yeux de sa mère à Salisbury en se jetant sous le train entrant en gare.

Au début des années trente, Max Jacob est des habitués du Bœuf sur le toit. Il y retrouve les anciens musiciens du Groupe des Six et se fait librettiste pour les compositeurs Francis Poulenc, Henri Sauguet, Georges Auric... En 1932, pour une des dernières soirées données à la villa Noailles par Anna de Noailles, Francis Poulenc conçoit à partir d'extraits choisis et recomposés du Laboratoire central, qui a consacré le poète dix ans plus tôt, une cantate profane, Le Bal masqué.

Le {{date-}}, André Salmon le fait nommer chevalier de la Légion d'honneur par le ministre de l'Éducation nationale Anatole de Monzie, un ami de Marc Sangnier.

En 1935, Max Jacob organise à Paris pour le secrétaire général de préfecture Jean Moulin, alias Romanin, rencontré trois ans plus tôt, quand celui ci était sous-préfet de Châteaulin, une exposition des eaux fortes de son ami qui ont servies à illustrer une édition des poèmes de Tristan Corbière. A Quimper, il rencontre un jeune pion qu'il encourage dans la voie de l'écriture, Per Jakez Helias.

Retraite testamentaire

Oblat et maître (1936-1939)

abbaye de Fleury]]. Max Jacob revient à Saint-Benoît-sur-Loire en 1936 pour s'y retirer définitivement et y mener une vie quasi monastique, en suivant la règle de Saint François de Sales. Il communie tous les matins, assiste très régulièrement à la messe, uniquement celle des domestiques, et participe à son service. On le voit souvent en prière devant la statue de la Sainte Vierge ou sur le chemin de croix. Pris initialement pour un original très parisien, la dévotion exemplaire de « Monsieur Max » procure à celui ci l'amitié de nombreux villageois et provoque même des conversions. La tâche de faire visiter l'ancienne abbatiale aux pèlerins de passage lui est confiée et il rédige un guide touristique à leur intention. Il entretient une volumineuse correspondance, écrit beaucoup, en particulier de longues méditations religieuses qu'il rédige de très bon matin et qui attestent une foi fulgurante.

Dès l'été 1936, Roger Lannes, Pierre Lagarde, Jean Oberlé, Jean Fraysse viennent le voir. Il reçoit les visites d'amis de longue date, Paul Éluard, Jean Cocteau, Maurice de Vlaminck, Fernand Léger, Pablo Picasso, Pierre Mac Orlan, Roland Dorgelès, Georges Hugnet, Yanette Delétang-Tardif... Marie Laurencin, dont il prise les dons de médium, vient régulièrement partager sa ferveur religieuse.

À partir de 1937, il se lie à la nouvelle génération de poètes, peintres et musiciens, sur lesquels ses conseils, sa correspondance, ses essais, sa théorie esthétique ont une grande influence. Ce sont, entre autres, Michel Manoll, René Lacôte, René Guy Cadou, Marcel Béalu, qui formeront en 1941 un mouvement littéraire, l'école de Rochefort, Olivier Messiaen, Roger Toulouse, Jean Rousselot, Charles Trenet, Jean-Bertrand Pontalis...

Juif sous l'Occupation (1940-1943)

Dès l'automne 1940 sont mises en œuvre à Quimper les « lois » d'aryanisation « votées » par le régime de Vichy. La magasin d'antiquité de Gaston Jacob, l'oncle du poète, est placardé d'une affiche « JUDE ». Le propriétaire affiche sur la vitre de la boutique « Liquidation - Profitez des derniers jours ».

A Saint-Benoît-sur-Loire, Max Jacob se passionne pour les mystères du miracle de Fatima. Interdit de publication, voire de citation, il donne dès 1941 des poèmes aux revues clandestines publiées par la Résistance, Confluences, qu'a fondé Jacques Aubenque et que dirige à Lyon René Tavernier, et Les Lettres françaises, recommandant à Jean Paulhan, à cause de l'antisémitisme régnant à Paris, de le publier sous le pseudonyme de Morvan le Gaélique utilisé en 1931 pour ses Poèmes bretons.

Au début de l'année 42, il séjourne chez les Tixier, belle famille de son ami le peintre Roger Toulouse où il trouve confort et réconfort. Avant la guerre, Max Jacob recevait de Marie Laurencin une abondante correspondance signée {{Citation}}, sur laquelle son exemple de piété aura une influence radicale, puis, comme d'autres amis, tel Marcel Jouhandeau, elle a cédé un certain antisémitisme. A partir de juin 1942, bouleversée par le port rendu obligatoire de l'étoile jaune, elle lui adresse des colis, nourriture, cigarettes, tricots, couvertures, qui l'aident à survivre.

A Jean Rousselot
Qui a vu le crapaud traverser une rue ?
(...)
Il sort de l'égout, pauvre clown.
Personne n'a remarqué ce crapaud dans la rue.
Jadis personne ne me remarquait dans la rue,
maintenant les enfants se moquent de mon étoile jaune.
Heureux crapaud, tu n'as pas l'étoile jaune.
Max Jacob, Amour du prochain, 1943,
poème qu'il se récitait au camp de Drancy.

À partir du décembre 1942, Max Jacob porte l'étoile jaune, imposée le 6 juin précédent par un décret d'application des lois sur le statut des Juifs du régime de Vichy instaurées dès 1940, mais il l'a porte pour ainsi dire « zazou », non pas découpée et cousue sur le poitrine mais dessinée sur son bandeau et recouvrant le revers du manteau. Les enfants dans la rue se moque de son étoile. Il n'a plus le droit de voyager ni même se rendre à l'abbaye pour écouter la messe. Il est régulièrement contrôlé à son domicile, par les gendarmes, les gestapistes, les miliciens.

Sa sœur Julie-Delphine et son beau-frère Lucien Lévy, victimes des grandes rafles de l'année 42, meurent au camp de Royallieu à Compiègne. En décembre, son frère aîné Gaston, arrêté une première fois en août, l'est de nouveau à Quimper puis déporté de Compiègne le {{date-}} vers Auschwitz, où il est gazé à son arrivée, le 16, mais la famille reste dans une angoisse entretenue par l'ignorance de cette fin rapide, ce qui est précisément l'effet théorisé et recherché par le chef de la Gestapo, Heinrich Himmler. La maison familiale est saccagée et les souvenirs dispersés.

Max Jacob se croit protégé par le réseau chrétien La France continue, dont un des fondateurs, son ami le diplomate Paul Petit, a pourtant été arrêté dès le {{date-}} pour avoir exprimé trop radicalement son opposition à la Collaboration et à Pétain. Le nouveau commissaire de police d'Orléans, Jean Rousselot, est un poète, un admirateur et un ami qui s'engage en février 1943 dans le réseau de résistance Cohors-Asturies sous la direction de Jean Cavaillès. Max Jacob refuse les évasions qui lui sont proposées. Il écrit {{Citation}}

Jean Moulin, organisant la Résistance sous la couverture d'un marchand d'art niçois, adopte entre janvier et juin 1943 le pseudonyme de Max en souvenir de leur rencontre, restée très vive dans son esprit, à Quimper et au manoir de Coecilian chez Saint-Pol-Roux au début des années trente. « Max » représente toute la synthèse culturelle de la France la plus avant-gardiste en même temps que la plus ancrée dans son histoire telle que la chante à sa façon Aragon dans La Diane française, et tout ce que l'Allemagne nazie honnit de l'« art dégénéré ».

Internement (1944)

Le {{date}}, la sœur préférée de Max Jacob, Myrté-Léa Lévy, et son mari sont internés. Déportée de Drancy le 20, elle est gazée, comme son mari, à son arrivée à Auschwitz. Le poète, effondré, se démène pour faire intervenir ses connaissances, Jean Cocteau, Paul Claudel, René Fauchois, qui est l'intime et le secrétaire de Sacha Guitry, Sacha Guitry lui-même, qui a sauvé Tristan Bernard en octobre, Coco Chanel, Misia Sert et Marie Laurencin, qui est proche de l'influent Karl Epting et multiplie les démarches.

Maison où Max Jacob louait à Saint-Benoît-sur-Loire un petit deux pièces et où il sera arrêté. Le jeudi {{date}}, trois jours après l'exécution des « terroristes » de l'Affiche rouge, deux jours après l'incarcération à Fresnes de Robert Desnos et de René Lacôte, Max Jacob, après avoir assisté à la messe de sept heures à la chapelle de l'hospice, passe à la poste prendre le courrier qui lui apprend que son contact au sein du réseau La France continue a été arrêté. À onze heures, trois membres de la Gestapo d'Orléans se présentent pour la troisième fois à son domicile, et, ce jour là, l'y trouve. De la rue, rien ne transparait de l'arrestation qui ne dure pas plus d'une heure. Sont présents un invité, le docteur Castelbon venu de Montargis pour la semaine, sa logeuse, un voisin, auxquels il transmet l'adresse d'un ami à prévenir qui travaille à Radio Paris, l'occultiste et illustrateur pornographique Conrad Moricand, ce qu'ils feront sans délai. Ils lui donnent précipitamment, dans la voiture qui l'emporte, un caleçon, un couvre lit.

Il est emprisonné quatre jours dans la glaciale prison militaire d’Orléans, à l'emplacement de laquelle se situe l'actuel Palais des sports d'Orléans. La femme de son ami Roger Toulouse, Marguerite Toulouse, au mariage de laquelle il était témoin le 20 juin 1938, s'y présente chaque jour pour lui transmettre nourritures et vêtements, ce que les officiers lui refusent. Max Jacob s'emploie à s'occuper des malades et à divertir ses codétenus. Il leur chante des airs d'opéras, dont un irrésistible « Ô Vaterland! Ô Vaterland! » qui clôture en allemand Le Petit Faust d'Hervé. Le lundi {{nobr}}, le commissaire Rousselot, prévenu quatre jours plus tôt, vient tenter de le délivrer mais quand il arrive à la prison, les prisonniers n'y sont plus.

Le matin de ce 28 février, mal en point, Max Jacob a été emmené avec soixante deux autres détenus en train via la gare d'Austerlitz au camp de Drancy, qui est gardé par la gendarmerie française sous la direction d'Alois Brunner. Dès son arrivée en fin d'après midi, {{Citation}} est affecté au contingent qui doit remplir le prochain convoi qui partira le {{nobr}} pour Auschwitz. Le zèle des arrestations des derniers jours vise à rentabiliser ces convois. Au greffe du camp, il dépose les quelques cinq mil francs qu'il a emporté et la montre en or de Filibuth. Dès le lendemain, il écrit à l'abbé Fleureau, curé de Saint-Benoît-sur-Loire, {{Citation}}, et, grâce à la complaisance des gardes mobiles, fait parvenir des messages à son frère Jacques, à son relieur Paul Bonnet, à André Salmon, à Jean Cocteau, à Conrad Moricand.

Pour faire libérer le poète, Jean Cocteau, Sacha Guitry, André Salmon, Marcel Jouhandeau, José Maria Sert, Albert Buesche, Jean Paulhan, Conrad Moricand, le conseiller collaborationniste de Paris Georges Prade mais aussi Charles Trenet font des démarches auprès de la Gestapo et auprès de l'ambassade d'Allemagne, où le conseiller von Bose est un admirateur. La figure de Pablo Picasso étant trop compromettante, il est demandé à celui ci de rester en retrait. Cocteau offre à la Gestapo de prendre sa place. Sans résultats immédiats, ces amis et d'autres, tel Henri Sauguet, font circuler une pétition rédigée par Cocteau. Marie Laurencin y ajoute sa signature et la porte personnellement à von Bose. L'intervention auprès d'Otto Abetz et de la Gestapo d'un ami de la « peintresse » responsable de la censure à l'ambassade, Gerhard Heller, est vaine. Deux semaines plus tard, le dimanche 5 mars 1944 à vingt et une heure, Max Jacob murmurant {{Citation}} meurt à l'infirmerie de la cité de la Muette, où règne la dysenterie, d'un arrêt cardiaque induit par la fièvre d'une pneumonie. {{Bloc citation}}

Le lendemain, au terme d'une négociation dont l'objet est resté secret, la Kommandantur annonce par téléphone à Charles Trenet sa libération, en voie d'être accordée par l'ambassade.

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