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Né de père inconnu (son nom était Frédéric Blanc selon les archives de l'Assistance publique) est abandonné à sept mois par sa mère, Camille Gabrielle Genet, le jeune Jean Genet est envoyé dans une famille nourricière du Morvan (Alligny-en-Morvan). Cette région, véritable « laiterie » de la France au début {{XXe siècle}}, regroupe alors une grande proportion des familles mandatées par l'Assistance publique pour recueillir et élever les enfants abandonnés de la {{IIIe}} République.
La famille adoptive de Genet lui offre l’éducation communale, une vache à lait douce et aimante, un environnement protégé. L’enfant y est heureux, bon élève et enfant de chœur, mais réservé et taciturne. De cette époque remontent les premiers émois masculins de Genet, en la personne du petit Lou Culafroy — qui deviendra plus tard « Divine », héros et ensuite héroïne de Notre-Dame-des-Fleurs — ainsi que d’hommes plus âgés, braconniers de passage ou marginaux égarés. Il obtient la meilleure note de sa commune au certificat d'études primaires.
Il commet son premier vol à l'âge de dix ans. C'est l'acte fondateur de la mythologie de Genet qui, fustigé pour son acte, donne un change très existentialiste en sanctifiant son geste, revendiquant ainsi une asocialité profonde. Il fugue et, à treize ans, est séparé d'office de sa famille d'adoption pour suivre une formation de typographe. Fuguant à nouveau, il est envoyé à La Paternelle ou colonie pénitentiaire de Mettray, où se cristallisent ses tentations homosexuelles ainsi que toute la liturgie de domination/soumission, la hiérarchie masculine et virile et la féodalité brutale qui en découlent à ses yeux.
Il quitte les lieux à dix-huit ans, s'engage dans la Légion étrangère. Il découvre pour la première fois l'Afrique du Nord et le Proche-Orient, qui lui font très forte impression par les passions qui y règnent, le charisme mâle et volontaire de ses habitants. Revenu à Paris, vivant de petits larcins (dont le vol de livres), Genet fréquente plusieurs prisons, dont la maison d'arrêt de Fresnes.
Il y écrit ses premiers poèmes et quelques ébauches de roman, sans cesse reprises, refondues, rejetées. Genet est un perfectionniste, un éternel insatisfait, un obsédé de la beauté du mot. Lui qui sacralise le geste, la signification de l'acte, n'admet la viabilité du verbe que lorsqu'il est beau, puissant, racé.
Ses premiers romans, écrits en prison, paraissent aux Éditions de L’arbalète ou « aux dépens d’un amateur (Paul Morihien) ». Censurés, car jugés pornographiques, ils se distribuent sous le manteau.
Notre-Dame-des-Fleurs (1943) raconte la vie d’un travesti, surnommé Divine, avec son passé de petit garçon du nom de Louis Culafroy. Et puis il y a son mac, Mignon-les-Petits-Pieds et son colocataire, un Africain nommé Seck, Et puis Notre-Dame-des-Fleurs, un jeune assassin de 16 ans à la beauté fulgurante. On découvre le monde de ces « tantes », de ces hommes-femmes des nuits de Montmartre. Genet évoque les créatures ambiguës de la nuit homosexuelle parisienne du Paris d'avant-guerre — il s'agit probablement du premier roman mettant en scène les aventures d'un travesti. Le roman commence ainsi, disant la gloire des assassins à la beauté fulgurante:
« Weidmann vous apparut dans une édition de cinq heures, la tête emmaillotée de bandelettes blanches, religieuse et encore aviateur blessé, tombé dans les seigles, un jour de septembre pareil à celui où fut connu le nom de Notre-Dame-des-Fleurs. Son beau visage multiplié par les linotypes s'abattit sur Paris et sur la France, au plus profond des villages perdus, dans les châteaux et les chaumières, révélant aux bourgeois attristés que leur vie quotidienne est frôlée d'assassins enchanteurs, élevés sournoisement jusqu'à leur sommeil qu'ils vont traverser, par quelque escalier d'office qui, complice pour eux, n'a pas grincé. Sous son image, éclataient d'au-rore ses crimes : meurtre 1, meurtre 2, meurtre 3 et jusqu'à six, disaient sa gloire secrète et préparaient sa gloire future.»
« Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour », écrit Genet dans un de ses poèmes
Le Miracle de la rose (1946) évoque les années d’enfermement de Genet, à l'âge de seize ans, à la Colonie pénitentiaire de Mettray, « à l'endroit le plus beau de la plus belle Touraine », et ses années de prison ensuite. Le narrateur décrit ses plus profonds et premiers amours avec Bulkaen ou Divers. Il raconte les correspondances secrètes des détenus de la Colonie Pénitentiaire avec les prisonniers de la Centrale de Fontrevault où ils vont se retrouver adultes et, où Harcamone, auréolé de sa condamnation à mort, est le centre de tous les regards et le héros du « miracle de la Rose ». C’est un document implacable sur les bagnes d'enfants et le roman de ces adolescents violents et passionnés, condamnés à vivre enfermés dans un univers clos et féroce.
« En quittant la Santé pour Fontevrault, je savais déjà qu'Harcamone y attendait son exécution. À mon arrivée, je fus donc saisi par le mystère d'un de mes anciens camarades de Mettray, qui avait su, notre aventure à nous tous, la pousser jusqu'à sa pointe la plus ténue : la mort sur l'échafaud qui est notre gloire. »
Querelle de Brest (1947) met en scène le matelot Querelle, son frère Robert, qui est l'amant de Madame Lysiane, patronne de La Féria, bordel célèbre du port de Brest, Nono son mari, le tenancier de ce bordel, l'inspecteur Mario à la personnalité trouble, le lieutenant Seblon dont Querelle est l’ordonnance et qui l'aime en secret, le petit Gil Turko, jeune meurtrier en cavale. Tous les protagonistes du drame naissent pour Jean Genet du brouillard de Brest, du soleil qui dore faiblement ses façades, et de la mer semblable au mouvement intérieur très singulier qui anime l'écrivain.
« L'idée de meurtre évoque souvent l'idée de mer, de marins. Mer et marins ne se présentent pas alors avec la précision d'une image, le meurtre plutôt fait en nous l'émotion déferler par vagues. »
L’action principale suit Querelle qui se livre à un trafic de drogue, assassine son ami Vic, « se fait mettre » par Nono après un jeu de dés truqué. Des retours en arrière évoquent les précédents meurtres de Querelle, et surtout le premier meurtre, celui du « pédé arménien », Joachim, qui le nomme « mon bel étoilé ».
Pompes funèbres (1948), est le roman qui prête le plus à malentendus. Les héros : Jean Decarnin, le résistant assassiné par la milice, Riton, petit gars de Paris, Erik le tankiste, Hitler lui-même décrit comme « sodomite et castré », ne sont pas des figures réalistes, mais des figures héraldiques, des êtres poétiques. Il y propose aussi une vision homo-érotisée d'Hitler, ainsi qu'un regard trouble sur les rapports qu'entretiennent la violence nazie et l'attirance sexuelle. Il adopte en partie le point de vue de la Milice et décrit la fascination de celle-ci pour le culte du corps et la mise en scène de la virilité développés par le nazisme :
« Le petit gars de Paris accomplit son travail avec vaillance. D'abord il eut peur de faire du mal au Führer. Le membre était d'acier. De toute cette machine à supplice qu'était Paulo, la verge en était la pièce essentielle. Elle avait la perfection des rouages, des bielles fabriquées avec précision. […] Elle était également sans tendresse, sans douceur, sans le tremblement qui fait souvent frémir délicatement les plus violentes. […] Il fonça jusqu'au fond. Il éprouva une grande joie à sentir le tressaillement de bonheur de Madame. La reconnaissance de la beauté de son travail le rendit fier et plus ardent. Ses bras, par en dessous, près des épaules, s'aggripèrent au bras de l'enculé, et il fonça plus dur, avec plus de fougue. Le Führer râlait doucement. Paulo fut heureux de donner du bonheur à un tel homme. Il pensa : « T'en veux de l'aut' ? » et en fonçant : « Tiens mon chéri. » Soulevant encore ses reins, sans sortir du trou : « Du petit Français » et fonçant « Encore un coup… C'est bon, ça te plaît ? Prends-en toujours. » Et chaque mouvement de va-et-vient dans l'œil de bronze, s'accompagnait mentalement d'une formule dont le lyrisme était dicté par le bonheur accordé. À peine eut-il une fois un léger ricanement, vite effacé, quand il pensa « Çui-là, c'est la France qui te le met. » Hitler une main sur sa queue et ses parties mutilées, sentait cette ardeur s'exalter, encore que chaque coup de bite arrachât un râle de bonheur. »
Cela ne fait pas pour autant de Jean Genet un thuriféraire du régime nazi ou de la collaboration, ce que certains lecteurs pensent. Pour d’autres interprètes ce texte est écrit par Jean Genet afin de raconter à sa façon un travail de deuil : Jean Decarnin, son ami, résistant communiste, vient d'être assassiné par un milicien.
Pompes funèbres s'ouvre sur la mort et l'enterrement de Decarnin. Genet se réfugie ensuite dans un cinéma où des actualités montrent l'arrestation d'un jeune milicien sur les toits de Paris. Il ne peut alors ni faire le deuil de son ami, ni accepter la vindicte selon lui hypocrite des bourgeois contre les miliciens. Il décide donc d'écrire un livre du point de vue de ce « petit gars » qu’il imagine avoir tué son ami. Provocateur et scandaleux, il cherche à déclencher chez le lecteur, après la guerre, une prise de conscience extrême de l'extraordinaire séduction du mal.
Genet magnifie les nazis, non parce qu’ils indiqueraient la voie du bien ou du vrai, mais au contraire parce qu’ils incarnent le crime, la terreur, la destruction, autrement dit le mal à l’état pur, qui se concrétise dans le meurtre gratuit d’un enfant par Erik le tankiste allemand.
Le Journal du voleur (1949) n’est pas selon Sartre une simple autobiographie, mais « une cosmogonie sacrée ». Le livre décrit les errances du narrateur hors de France. Âgé de trente-cinq ans, le narrateur, Jean, évoque sa vie de 1932 à 1940. Il raconte son existence de misère en Espagne, dans le quartier interlope du Barrio Chino à Barcelone, où il partage les mœurs de la vermine avec Salvador, son amant crasseux, qu’il délaisse ensuite pour Stilitano, le manchot magnifique, maquereau et traître. Abandonné par ce dernier, le narrateur raconte son dénuement sur les routes andalouses. Il fait part de ses pérégrinations en France, en Italie et à travers l’Europe d’avant-guerre.
« Ainsi l’Espagne et ma vie de mendiant m’auront fait connaître les fastes de l’abjection, car il fallait beaucoup d’orgueil (c'est-à-dire d’amour) pour embellir ces personnages crasseux et méprisés. Il me fallut beaucoup de talent. Il m’en vint peu à peu. S’il m’est impossible de vous en décrire le mécanisme au moins puis-je dire que lentement je me forçai à considérer cette vie misérable comme une nécessité voulue. Jamais je ne cherchai à faire d’elle autre chose que ce qu’elle était, je ne cherchai pas à la parer, à la masquer, mais au contraire je la voulu affirmer dans sa sordidité exacte, et les signes les plus sordides me devinrent signes de grandeur. »
Genet écrit : « La trahison, le vol et l'homosexualité sont les sujets essentiels de ce livre. Un Rapport existe entre eux, sinon apparent toujours, du moins me semblerait-il reconnaître une sorte d'échange vasculaire entre mon goût pour la trahison, le vol et mes amours. »
Notons que ces premiers romans ont été publiés à nouveau par les Éditions Gallimard dans les Œuvres complètes, mais en version largement révisée, voire censurée, ce qui est à interroger. Il semblerait que Genet lui-même ait participé à ces révisions et censures dont beaucoup sont jugées regrettables et altèrent même le sens du texte, comme la suppression du meurtre du « pédé arménien » dans Querelle de Brest.
Cocteau découvre les premières œuvres de Genet et Sartre après lui. Ils encensent ce mauvais garçon de la scène littéraire française et le considèrent comme le génie de leur temps. Cocteau le sauve de la prison à perpétuité (à la troisième condamnation, quel que soit le motif de cette condamnation, le criminel risquait la relégation au bagne, à perpétuité).
Cocteau et Sartre voient en lui un moraliste alors que Mauriac se contente de le qualifier d'« excrémentiel ». En montrant à la société le spectacle de sa propre fange, Genet accule le bourgeois dont l'ordre est régi par une violence normée (la peine de mort en étant le point culminant) : il voit dans la défaite de 1940 une occasion d'inverser les termes de cette violence, de faire du bourreau une victime méprisable.
Sartre, qui a d’interminables entretiens avec Genet, écrit ce qui devait être d’abord une préface à ses Œuvres complètes publiées chez Gallimard, et qui en devient l’énorme premier tome sous le titre : Saint Genet, comédien et martyr, somptueux autant qu’assommant selon les commentateurs. Cette étude occupe certes une place indue dans ces Œuvres complètes, avec en seconde de couverture la liste des œuvres de Sartre, comme si Sartre s’était glissé vampiriquement dans la peau de Genet. Sartre en fait l'« exemplum » de sa philosophie existentialiste. Au cœur de l'analyse de Sartre, le « caïnisme » de Genet, son identification au Caïn rebelle et meurtrier des Écritures.
Ce livre déprimera profondément Genet et l'empêchera d'écrire, selon ses propres dires, pendant près de dix ans, tant sa « mécanique cérébrale y était décortiquée », ce qui est partiellement inexact.
Genet, au faîte de sa gloire parisienne, fréquente Sartre, Simone de Beauvoir, Alberto Giacometti, Henri Matisse, Brassaï. Il entame une carrière de dramaturge ; précédées par sa réputation et son odeur de scandale, ses pièces, montées par les plus grands metteurs en scène, sont des succès. Ainsi, Roger Blin monte Les Nègres puis Les Paravents qui jouée au début des années 1960, prend violemment position contre le colonialisme français et prend fait et cause pour les indépendances, alors même que la France est en pleine guerre d'Algérie. Jack's Hôtel au {{numéro}} avenue Stéphen-Pichon où meurt Genet. Le propos de Genet se fait de plus en plus engagé. Il élève la voix contre la tyrannie blanche, la domination occidentale, l'état déplorable dans lequel la France abandonne ses anciennes colonies. Il se lance dans la rédaction d'un journal intitulé Le Captif amoureux, publié en 1986, quelques mois après sa mort.
Dans le même temps, le suicide de son compagnon, Abdallah Bentaga (qui lui a notamment inspiré le poème Le Funambule), ainsi que sa toxicomanie aux barbituriques, mettent à mal son mode de vie d'errance. Genet, jusqu'à la fin, vit dans des chambres d'hôtel sordides, souvent près des gares, ne voyageant qu'avec une petite valise remplie de lettres de ses amis et de manuscrits.
Le 15 avril 1986, seul et rongé par un cancer de la gorge, l'écrivain fait une mauvaise chute la nuit dans la chambre 205 du Jack's Hôtel au {{numéro}} de l'avenue Stéphen-Pichon à Paris et meurt.
Il est enterré au vieux cimetière espagnol de Larache au Maroc, au bord de la mer.