alt=Paysage d'hiver, arbres partiellement dénudés, avec une église gothique, chœur avec arcs-boutants toit en ardoise, surmontée d'une flèche pointue recouverte aussi d'ardoises, et un clocher conique en pierre ; au premier plan un bassin d'eau verte
Honoré de Balzac est le fils de Bernard-François Balssa, secrétaire au conseil du Roi, directeur des vivres, maire-adjoint et administrateur de l’hospice de Tours, et d'Anne-Charlotte-Laure Sallambier, issue d'une famille de passementiers du Marais. Bernard-François Balssa transforma le nom originel de la famille en Balzac, par une démarche faite à Paris entre 1771 et 1783, soit avant la Révolution. Bernard-François avait trente-deux ans de plus que sa femme, qu'il a épousée en 1797, alors qu'elle n'avait que 18 ans. Il est athée et voltairien, tandis qu'elle est décrite comme {{citation}}, qui s'intéresse aux magnétiseurs et aux illuministes.
Né le 20 mai 1799, Honoré est mis en nourrice immédiatement et ne regagnera la maison familiale qu'au début de 1803. Cet épisode de la première enfance lui donnera le sentiment d'avoir été délaissé par sa mère, tout comme le sera le personnage de Félix de Vandenesse, son « double » du Lys dans la vallée. Il est l’aîné des quatre enfants du couple (Laure, Laurence et Henry). Sa sœur Laure, de seize mois sa cadette, est de loin sa préférée : il y a entre eux une complicité et une affection réciproque qui ne se démentiront jamais. Elle lui apportera son soutien à de nombreuses reprises : elle écrit avec lui, et publiera la biographie de son frère en 1858.
De 1807 à 1813, Honoré est pensionnaire au collège des oratoriens de Vendôme. Au cours des six ans qu'il y passe, sans jamais rentrer chez lui, même pour les vacances, le jeune Balzac dévore des livres de tout genre : la lecture était devenue pour lui {{Citation}} Cependant, ces lectures, qui meublent son esprit et développent son imagination, ont pour effet d'induire chez lui une espèce de coma dû à {{citation}}. La situation s'aggrave au point que, en avril 1813, les oratoriens s'inquiètent pour sa santé et le renvoient dans sa famille, fortement amaigri.
De juillet à novembre 1814, il est externe au collège de Tours. Son père ayant été nommé directeur des vivres pour la Première division militaire, la famille déménage à Paris et s’installe au 40, rue du Temple, dans le quartier du Marais. L'adolescent est admis comme interne à la pension Lepître, située rue de Turenne à Paris, puis en 1815 à l’institution de l’abbé Ganser, rue de Thorigny. Les élèves de ces deux institutions suivent en fait les cours du lycée Charlemagne, où se trouve aussi Jules Michelet, dont les résultats scolaires sont toutefois plus brillants que les siens.
Le {{date}}, le jeune Balzac s’inscrit en droit. En même temps, il prend des leçons particulières et suit des cours à la Sorbonne. Il fréquente aussi le Muséum d'Histoire naturelle, où il s'intéresse aux théories de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire.
Son père tenant à ce qu'il associe la pratique à la théorie, Honoré doit, en plus de ses études, travailler chez un avoué, ami de la famille, Jean-Baptiste Guillonnet-Merville, homme cultivé qui avait le goût des lettres. Il exerce le métier de clerc de notaire dans cette étude où Jules Janin était déjà « saute-ruisseau». Il utilisera cette expérience pour restituer l’ambiance chahuteuse d’une étude d’avoué dans Le Colonel Chabert et créer les personnages de Maître Derville et d'Oscar Husson dans Un début dans la vie. Une plaque, rue du Temple à Paris, atteste son passage chez cet avoué, dans un immeuble du quartier du Marais. En même temps, il dévore, résume et compare quantité d'ouvrages de philosophie, signe de ses préoccupations métaphysiques et de sa volonté de comprendre le monde. Il passe avec succès le premier examen du baccalauréat en droit le 4 janvier 1819, mais ne se présentera pas au deuxième examen et ne poursuivra pas jusqu'à la licence.
{{Article détaillé}} alt=Dessin représentant un homme jeune en chemise blanche, col ouvert, cheveux noirs hirsutes Son père alors âgé de 73 ans ayant été mis à la retraite, la famille n'a plus les moyens de vivre à Paris et déménage à Villeparisis. Le jeune Balzac ne veut pas quitter Paris et dit vouloir se consacrer à la littérature. Ses parents le logent alors, en août 1819, dans une mansarde, au 9, rue de Lesdiguières, et lui laissent deux ans pour écrire. Balzac rappellera dans Illusions perdues cette période de sa vie. Dans Facino Cane, il mentionne même le nom de la rue et évoque le plaisir qu'il prenait à s'imaginer la vie des autres : {{citation bloc}}
Il travaille à un projet de Discours sur l'immortalité de l'âme, lit Malebranche, Descartes et entreprend de traduire Spinoza du latin au français. En même temps, il se lance en littérature et, prenant son inspiration dans un personnage de Shakespeare, rédige une tragédie de {{unité}}, Cromwell (1820). Lorsqu'il présente cette pièce à ses proches, l'accueil se révèle décevant. Consulté, l'académicien François Andrieux le décourage de poursuivre dans cette voie.
Le jeune homme s’oriente alors vers le roman historique dans la veine de Walter Scott, dont la traduction dIvanhoé, parue en avril 1820, rencontre en France un immense succès. Sous le titre Œuvres de l'abbé Savonati, il réunit d'abord deux textes, Agathise (entièrement disparu) et Falthurne, récit {{Citation}} Dans un autre texte, Corsino, il imagine un jeune Provençal, nommé Nehoro (anagramme d'Honoré) qui rencontre dans un château écossais un Italien avec lequel il discute de métaphysique. Ces ébauches sont vite abandonnées et ne seront pas publiées de son vivant. Il en va de même de Sténie ou les Erreurs philosophiques, un roman par lettres esquissé l'année précédente et qui s'inspire de La Nouvelle Héloïse.
En 1821, Balzac s'associe avec Étienne Arago et Lepoitevin pour produire ce qu'il appelle lui-même de « petites opérations de littérature marchande ». Soucieux de ne pas salir son nom par une production qu'il qualifie lui-même de {{Citation}}, il publie sous le pseudonyme de Lord R’hoone (autre anagramme d'Honoré). Parmi ces œuvres, on compte notamment : L'Héritière de Birague, Clotilde de Lusignan, Le Vicaire des Ardennes (interdit et saisi, mais c'est le seul roman de cette époque qui ait échappé à l'échec commercial) et Jean-Louis. Ces ouvrages en petit format in-12 rencontrent un certain public dans les cabinets de lecture, si bien que l'auteur croit avoir trouvé un filon productif. Dans une lettre à sa sœur Laure, datée de juillet 1821, il se fait fort de produire un roman par mois : {{Citation}}. En fait, il dépasse même cet objectif, car il déclare un peu plus tard avoir écrit huit volumes en trois mois. De cette période date notamment L'Anonyme, ou, Ni père ni mère signé sous le double pseudonyme de son commanditaire A. Viellerglé Saint Alme et Auguste Le Poitevin de L'Égreville.
En 1822, il abandonne ce pseudonyme pour celui de Horace de Saint-Aubin. C'est celui qu'il utilise pour signer Le Centenaire ou les Deux Beringheld et Le Vicaire des Ardennes. Ce dernier ouvrage est dénoncé au Roi et saisi. En 1823, il publie Annette et le Criminel, puis La dernière Fée ou La Nouvelle Lampe merveilleuse, mais ce livre, mauvais pastiche d'un vaudeville de Scribe et d'un roman de Maturin, est « exécrable ». Balzac, Clotilde de Lusignan (1822) Couverture de Wann-Chlore, 1825 Il collabore au Feuilleton littéraire, qui cessera de paraître le 7 septembre 1824, et rédige divers ouvrages utilitaires répondant à la demande du public. Après un Code de la toilette (1824), il publie un Code des gens honnêtes dans lequel il affirme avec cynisme que tout l'état social repose sur le vol et qu'il faut donc donner aux gens honnêtes les moyens de se défendre contre les ruses des avocats, avoués et notaires. Il travaille aussi à un Traité de la Prière et publie une Histoire impartiale des Jésuites (1824). Il rédige aussi sous pseudonyme un ouvrage sur Le Droit d'aînesse (1824), sujet qui sera chez lui un thème récurrent. Son père, qui avait mis la main sur cette brochure anonyme, s'indigna contre un « auteur arriéré » défenseur d'une institution périmée et entreprit de le réfuter, ignorant qu'il s'agissait de son fils.
Vers la fin de l'année 1824, en proie à une profonde crise morale et intellectuelle, Balzac abandonne la littérature commerciale et rédige le testament littéraire de Horace de Saint-Aubin, qu'il place dans la postface de Wann-Chlore ou Jane la Pâle. Il se moquera plus tard des intrigues sommaires et dépourvues de style des romans de cette époque, et en fera un pastiche désopilant dans un long passage de La Muse du département. Il se met alors à la rédaction de L'Excommunié, roman de transition achevé par une main étrangère et qui ne sera publié qu'en 1837. Cet ouvrage consomme sa rupture avec la littérature facile et sera le premier jalon d'un cycle de romans historiques. Féru d'histoire, Balzac aura alors l'idée de présenter l'histoire de France sous une forme romanesque, ce qui donnera notamment Sur Catherine de Médicis. Il s'essaie aussi une nouvelle fois au théâtre, avec Le Nègre, un sombre mélo, tout en étant conscient de gaspiller son génie et esquisse un poème en vers qui n'aboutira pas : Fœdora.
En dépit de leurs défauts, ces œuvres de jeunesse, publiées de 1822 à 1827, contiennent selon André Maurois les germes de ses futurs romans : {{Citation}}. Balzac, toutefois, les désavoue et les proscrira de l’édition de ses œuvres complètes, tout en les republiant en 1837 sous le titre Œuvres complètes de Horace de Saint-Aubin, et en faisant compléter certains ouvrages par des collaborateurs, notamment le comte de Belloy et le comte de Grammont. Pour mieux brouiller les pistes et couper tout lien avec son pseudonyme, il chargera Jules Sandeau de rédiger un ouvrage intitulé Vie et malheurs de Horace de Saint-Aubin.
Désespérant de devenir riche avec une littérature alimentaire qu'il méprise, il décide de se lancer dans les affaires et devient libraire-éditeur. Le {{date}}, il s’associe à Urbain Canel et Delongchamps pour publier des éditions illustrées de Molière et de La Fontaine. Il acquiert aussi une partie du matériel de l'ancienne fonderie Gillé & Fils et fonde une imprimerie. Toutefois, les livres ne se vendent pas aussi bien qu'il le souhaitait et la faillite menace. Lâché par ses associés, Balzac se retrouve, le {{date}}, avec une énorme dette. Au lieu de jeter l'éponge, il pousse plus loin l'intégration verticale et décide, le {{date}}, de créer une fonderie de caractères avec le typographe André Barbier. Cette affaire se révèle également un échec financier. Au {{date}}, il croule sous une dette dont le chiffre varie selon les sources de {{Unité}}, à {{Unité}} de l'époque.
alt=Couverture en noir et blanc d'un livre sans illustration sur lequel est écrit : Le dernier chouan ou la Bretagne en 1800, par Honoré de Balzac. alt=Portrait peint d'une femme aux cheveux bruns, longs et bouclés, elle porte une étole blanche sur une chemise blanche en croisant les bras. alt=Couverture d'un livre en noir et blanc portant le titre Œuvres complètes de Walter Scott et illustré par un soldat du {{s-}} assis
Passionné par les idées et les théories explicatives, Balzac s'intéresse aux écrits de Swedenborg, ainsi qu'au martinisme et aux sciences occultes. Convaincu de la puissance de la volonté, il croit que l'homme {{Citation}}. Il connaît par expérience la force que recèle le roman, mais ne voit pas encore celui-ci comme un outil de transformation sociale. Ainsi écrit-il dans une préface : {{Citation}}
Il perçoit maintenant les limites de Walter Scott, un modèle jadis fort admiré et à qui il rendra encore hommage dans son Avant-Propos de 1842. Comme le déclarera plus tard un de ses personnages dans un avertissement lancé à un jeune écrivain : {{Citation}}
S'il peut envisager la possibilité de dépasser son modèle, c'est aussi parce qu'il a découvert, en 1822, L’Art de connaître les hommes par la physionomie de Lavater et qu'il en est fortement imprégné. La physiognomonie, qui se flatte de pouvoir associer « scientifiquement » des traits de caractère à des caractéristiques physiques, et qui recense quelque {{unité}} humains, devient pour lui une sorte de Bible. Cette théorie contient en effet en germe {{Citation}}. Le romancier aura souvent recours à cette théorie pour dresser le portrait de ses personnages : {{citation bloc}}
D'une vieille fille méchante et bornée, il écrit ainsi que {{citation}} Pour un criminel : {{citation}} Ailleurs, il décrit ainsi un banquier : {{citation}}
Après sa faillite comme éditeur, Balzac revient à l’écriture. En septembre 1828, cherchant la sérénité et la documentation nécessaires à la rédaction des Chouans, roman politico-militaire, il obtient d'être hébergé par le général Pommereul à Fougères. Il polit particulièrement cet ouvrage, car il veut le faire éditer en format {{page h'}}, beaucoup plus prestigieux que le format in-12 de ses livres précédents destinés aux cabinets de lecture. Le roman paraît finalement en 1829 sous le titre Le Dernier Chouan ou la Bretagne. C'est le premier de ses ouvrages à être signé « Honoré Balzac ».
Cette même année 1829 voit la parution de Physiologie du mariage « par un jeune célibataire ». Balzac y montre une {{Citation}}, qu'il doit sans doute aux confidences de ses amantes, {{Mme}} et la duchesse d'Abrantès, ainsi qu'à Fortunée Hamelin et Sophie Gay, des « merveilleuses » dont il fréquente les salons. Décrivant le mariage comme un combat, l'auteur prend le parti des femmes et défend le principe de l'égalité des sexes, alors mis de l'avant par les saint-simoniens. L'ouvrage remporte un grand succès auprès des femmes, qui s'arrachent le livre, même si certaines le trouvent choquant.
Balzac commence dès lors à être un auteur connu. Il est introduit au salon de Juliette Récamier, où se retrouve le gratin littéraire et artistique de l'époque. Il fréquente aussi le salon de la princesse russe Catherine Bagration, où il se lie notamment avec le duc de Fitz-James, oncle de {{Mme}}. Toutefois, ses livres ne se vendent pas assez : ses revenus ne sont pas à la hauteur de ses ambitions et de son train de vie. Il cherche alors à gagner de l'argent dans le journalisme.
En 1830, il écrit dans la Revue de Paris, la Revue des deux Mondes, La Mode, La Silhouette, Le Voleur, La Caricature. Il devient l'ami du patron de presse Émile de Girardin. Deux ans après la mort de son père, l'écrivain ajoute une particule à son nom lors de la publication de L'Auberge rouge, en 1831, qu'il signe de Balzac{{,}}. Ses textes journalistiques sont d'une grande diversité. Certains portent sur ce qu'on appellerait aujourd'hui la politique culturelle, tels « De l'état actuel de la librairie » et « Des artistes ». Ailleurs est esquissée une « Galerie physiologique », avec « L'Epicier » et « Le Charlatan ». Il écrit aussi sur les mots à la mode, la mode en littérature et esquisse une nouvelle théorie du déjeuner. Il publie en parallèle des contes fantastiques et se met à écrire sous forme de lettres des réflexions sur la politique.
En même temps, il travaille à La Peau de chagrin, qu'il voit comme {{Citation}}. D'inspiration romantique par son intrigue, qui fait {{citation}}, le conte explore l'opposition entre une vie fulgurante consumée par le désir, et la longévité morne que donne le renoncement à toute forme de désir. Son héros, Raphaël de Valentin, s'exprime comme l'auteur lui-même, qui veut tout : la gloire, la richesse, les femmes : {{Citation bloc}} Balzac dira plus tard de ce roman qu'il est {{Citation}}.
Dans la préface de l'édition de 1831, il expose son esthétique réaliste : {{Citation}} Ce livre {{incise}} paraîtra finalement en 1831. C'est un succès immédiat. Balzac est devenu {{Citation}}
{{Article détaillé}}
alt=Gravure d'un homme préoccupé vu de profil, il est assis sur une chaise les mains croisées posées sur ses jambes croisées. La Peau de chagrin marque le début d'une période créative au cours de laquelle prennent forme les grandes lignes de La Comédie humaine. Les « études philosophiques », qu’il définit comme la clé permettant de comprendre l’ensemble de son œuvre, ont pour base cet ouvrage, qui sera suivi de Louis Lambert (1832), Séraphîta (1835) et La Recherche de l'absolu (1834).
Les Scènes de la vie privée, qui inaugurent la catégorie des « études de mœurs », commencent avec Gobseck (1830) et La Femme de trente ans (1831). La construction de « l'édifice », dont il expose le plan dès 1832 à sa famille avec un enthousiasme fébrile, se poursuit avec les scènes de la vie parisienne dont fait partie Le Colonel Chabert (1832-1835). Il aborde en même temps les scènes de la vie de province avec Le Curé de Tours (1832) et Eugénie Grandet (1833), ainsi que les scènes de la vie de campagne avec Le Médecin de campagne (1833), dans lequel il expose un système économique et social de type saint-simonien.
Ainsi commence « le grand dessein » qui, loin d’être une simple juxtaposition d’œuvres compilées a posteriori, se développe instinctivement au fur et à mesure de ses écrits. Il envisage le plan d'une œuvre immense, qu'il compare à une cathédrale. L’ensemble doit être organisé pour embrasser du regard toute l’époque, tous les milieux sociaux et l'évolution des destinées. Profondément influencé par les théories de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, il part du principe qu'il existe « des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques » et que les premières sont beaucoup plus variées que les secondes, car « les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeures d’un prince, d’un banquier, d’un artiste, d’un bourgeois, d’un prêtre et d’un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations. » Il en résulte que la somme romanesque qu'il envisage doit {{citation}}
Le Père Goriot, commencé en 1834, marque l’étape la plus importante dans la construction de son œuvre, car Balzac a alors l'idée du retour des personnages, qui est une caractéristique majeure de La Comédie humaine. L'œuvre n'a pu prendre corps qu'avec l'idée de ce retour. Elle est étroitement liée à l'idée d'un cycle romanesque {{Citation}}. Ainsi, un personnage qui avait joué un rôle central dans un roman peut reparaître dans un autre quelques années plus tard comme personnage secondaire, tout en étant présenté sous un nouveau jour, exactement comme, dans la vie, des gens que nous avons connus peuvent disparaître longtemps de nos relations pour ensuite refaire surface. Le roman arrive ainsi à restituer {{Citation}} De même, anticipant la vogue des « préquelles », il peut présenter dans un roman la jeunesse d'une personne qu'on avait rencontrée sous les traits d'une femme mûre dans un roman précédent, telle {{Citation}}.
Une fois le plan élaboré, les publications se succèdent à un rythme accéléré : Le Lys dans la vallée paraît en 1835-1836, puis Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau en 1837, suivi de La Maison Nucingen en 1838, Le Curé de village et Béatrix en 1839, Ursule Mirouët et Une ténébreuse affaire en 1841, La Rabouilleuse en 1842. La rédaction d’Illusions perdues s’étend de 1837 à 1843, tandis que celle de Splendeurs et misères des courtisanes va de 1838 à 1847. Paraissent encore deux chefs-d'œuvre : La Cousine Bette 1846 et Le Cousin Pons 1847.
Le plan de l'ouvrage est constamment refait et s'allonge au fil des ans, jusqu'à compter 145 titres en 1845, dont 85 sont déjà écrits. Mais ses forces déclinent et il doit réduire son projet. Au total, La Comédie humaine comptera 90 titres publiés du vivant de l'auteur.
alt=Jeune fille au chevet d'un mourant sur un grabat dans un grenier. {{encadré texte}} Doté du génie de l'observation, Balzac attache une grande importance à la documentation et décrit avec précision les lieux de ses intrigues, n'hésitant pas à se rendre sur place pour mieux s'imprégner de l'atmosphère, ou interrogeant des personnes originaires d'une ville qui joue un rôle dans son récit. Il a un sens aigu du détail vrai et son style devient jubilatoire dès qu'il s'agit de décrire. C'est pour cela que les personnages prennent tellement de place dans son œuvre et qu'il ne pouvait pas rivaliser avec Eugène Sue dans le roman-feuilleton. Il décrit minutieusement une rue, l'extérieur d'une maison, la topographie d'une ville, la démarche d'un personnage, les nuances de la voix et du regard. Il est à la fois scénographe, costumier et régisseur : {{Citation}} Les minutieuses descriptions de l’ameublement d’une maison, d'une collection d'antiquités, des costumes des personnages jusque dans les moindres détails {{incise}} sont celles d’un scénographe, voire d'un cinéaste. L’auteur de La Comédie humaine plante ses décors avec un soin presque maniaque, ce qui explique l’engouement des metteurs en scène pour ses textes, souvent adaptés à l’écran (voir Films basés sur l'œuvre d'Honoré de Balzac). Il accorde un même soin à décrire le fonctionnement d'une prison, les rouages de l'administration, la mécanique judiciaire, les techniques de spéculation boursière, les plus-values que procure un monopole ou une soirée à l'opéra et les effets de la musique.
Par cet ensemble de romans et nouvelles, Balzac se veut un témoin de son siècle, dont il dresse un état des lieux pour les générations futures. Il s'attache à des réalités de la vie quotidienne qui étaient ignorées par les auteurs classiques. Grâce à la précision et à la richesse de ses observations, La Comédie humaine a aujourd'hui valeur de témoignage socio-historique et permet de suivre la montée de la bourgeoisie française de 1815 à 1848.
Pour cette raison, on a vu en lui un auteur réaliste, alors que le génie balzacien excède une catégorie réductrice que dénonçait déjà Baudelaire : {{Citation bloc}}
Baudelaire reconnaît toutefois au romancier un {{citation}}. Nombre de critiques ont salué {{citation}}. En poussant la précision du détail jusqu'à l'hyperbole, le réalisme balzacien devient incandescent et se transforme en vision. Certains récits relèvent de la veine fantastique tandis que d'autres baignent dans une veine mystique et ésotérique.
En plus de faire un portrait de la société, Balzac veut aussi influer sur son siècle, comme il le déclare lors d'une entrevue en 1833. Il veut occuper la première place dans la littérature européenne, à la hauteur des Byron, Scott, Goethe ou Hoffmann.
L’œuvre est indissociable de sa vie, dont les vicissitudes font comprendre ce qui a nourri son « monde ». Il fascine ses contemporains par ses bagues, sa canne à pommeau d'or, sa loge à l'opéra. Il vit avec une gourmandise insatiable, un appétit {{Citation}}.
Il a multiplié déménagements, faillites, dettes, spéculations ruineuses, amours simultanées, emprunts de faux noms, séjours dans des châteaux, que ce soit à Saché ou à Frapesle, et a fréquenté tous les milieux sociaux. L'accès à l'aisance financière —{{citation}}— est la motivation majeure de la plupart des mariages dans ses romans —comme ce le fut pour lui. Il montre un auteur poursuivi pour n'avoir pas livré à temps un manuscrit promis à son éditeur, tout comme cela lui est arrivé à lui-même. Alors qu'il a dû se cacher longtemps dans un appartement secret pour échapper à ses créanciers, en inventant mille stratagèmes (voir ci-dessous « Rue des Batailles »), il met en scène un détective privé qui gagne sa vie en s'emparant de débiteurs insaisissables. À l'époque où, muni de l'argent que lui a confié {{Mme}} Hańska, il court les antiquaires à la recherche de tableaux et d'objets d'art pour meubler fastueusement leur demeure commune (voir ci-dessous « La Folie Beaujon ou le dernier palais »), il dessine le personnage du cousin Pons, un collectionneur passionné qui {{citation}} et avait ainsi amassé une collection exceptionnelle.
Par leur psychologie, plusieurs personnages sont intimement liés à la personnalité de Balzac et apparaissent comme des doubles de leur créateur. On peut voir une part de lui dans les personnages de Séraphîta, Louis Lambert, La Fille aux yeux d'or et Mémoires de deux jeunes mariées. On le reconnaît aussi dans le narrateur de Facino Cane et surtout en Lucien de Rubempré, dont la trajectoire, qui s'étend sur ses deux plus grands romans (Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), comporte de nombreux points communs avec la sienne : même début dans la poésie, même liaison de jeune homme avec une femme mariée, même ambition littéraire, même désir de quitter la province pour percer à Paris, etc. Tout comme Lucien se donne un titre de noblesse et des armoiries, Balzac a ajouté une particule nobiliaire à son nom et a fait peindre des armoiries sur la calèche qu'il avait louée pour aller rencontrer {{Mme}} Hańska à Vienne. (Voir la section Les doubles).
alt=Enfants dansant une ronde autour de deux personnages fantastiques. Voir la section correspondante dans l'article sur La Comédie humaine.
Il a presque toujours plusieurs ouvrages en chantier, étant à même de puiser dans sa galerie de personnages pour les intégrer à une intrigue et répondre à la demande d'un éditeur qui lui demande une nouvelle. Décrivant la méthode de travail de Balzac, André Maurois imagine que des centaines de romans flottent sur ses pensées {{Citation}} Il n'hésite pas à refondre ses textes antérieurs, changeant le titre d'un roman ou des noms de personnages, reprenant un texte d'abord publié sous forme de nouvelle pour l'intégrer dans une suite romanesque. Il élimine aussi dans l'édition définitive la division en chapitres.
Très doué pour le pastiche, Balzac imite facilement des écrivains et des voix particulières. Il va volontiers jusqu'à la caricature, comme pour le langage de la concierge du Cousin Pons ou le jargon du banquier Nucingen. Il inscrit dans la trame de ses romans d'innombrables analogies cachées qui en forment l'armature symbolique et contribuent à donner un accent de vérité au récit. Son style, qui a été critiqué pour des fautes de goût dans les premières années, commence à s'élever à force de travail et dénote par la suite une grande maîtrise. Il corrige inlassablement ses épreuves, exigeant parfois qu'elles soient reprises jusqu'à quinze ou seize fois, et retournant à l'imprimeur des pages tellement barbouillées de corrections qu'elles faisaient le désespoir des typographes, mais suscitent maintenant l'admiration.
Pour se délasser et servir d'antidote au {{citation}}, Balzac travaille aux Contes drolatiques, qu'il rédige en parallèle à ses romans, de 1832 à 1837, s'inspirant de Rabelais et pastichant l'ancien français tout en inventant force néologismes.
alt=Un homme accoudé à une table écoute attentivement un autre jeune homme lisant un livre avec emphase. Le journalisme attire Balzac parce que c'est une façon d'exercer un pouvoir sur la réalité, lui qui rêve parfois de devenir maître du monde littéraire et politique grâce à l'association Le Cheval rouge qu'il voulait créer.
En même temps, il est bien conscient des dangers que cette carrière représente pour l'écrivain, parce que, forcé d'écrire sous des contraintes impératives, le journaliste est {{citation}}. Dans Illusions perdues, il fait dire aux sages du Cénacle, lorsque Lucien de Rubempré annonce qu’il va {{citation}} : {{citation bloc}}
Ailleurs, il revient sur les compromissions auxquelles doit souvent se résoudre le journaliste : {{citation}}
Pour sa part, en tant que journaliste, il s'engage dès 1830 dans la défense des intérêts des gens de lettres, affirmant que l'artiste doit bénéficier d'un statut spécial car il constitue une force idéologique, un contre-pouvoir, voire une menace révolutionnaire que le gouvernement a tort de dédaigner, car son génie le place à égalité avec l'homme d'État. Il dénonce le rapport de forces inégal entre une pléthore d'écrivains débutants et la poignée d'éditeurs qui les exploite. Ce combat débouchera sur la création de la Société des gens de lettres (voir section ci-dessous).
Il livre aussi un combat, en septembre 1839, pour la révision du procès de Sébastien-Benoît Peytel, un ancien confrère du journal Le Voleur et auteur d'un violent pamphlet contre Louis-Philippe, condamné à mort pour le meurtre de son épouse et de son domestique. Il tente d'en faire une cause nationale, mais sans succès.
Outre sa profonde connaissance des milieux du journalisme, il participe aussi, en tant qu'écrivain, à la révolution du roman-feuilleton : en 1836, il livre au journal La Presse de son ami Girardin, La Vieille Fille, qui paraît en douze livraisons. En 1837, il y fera paraître Les Employés ou la Femme supérieure. Dans les années qui suivent, il donnera aussi divers romans au Constitutionnel et au Siècle. À partir de l'automne 1836, presque tous ses romans paraîtront d'abord découpés en tranches quotidiennes dans un journal, avant d'être édités en volumes. Cette formule entraîne une censure de la moindre allusion sexuelle dans le texte livré aux journaux.
alt=Lithographie du portrait d'un homme assis qui glisse la main gauche dans sa veste En 1835, apprenant que La Chronique de Paris, journal politique et littéraire, feuille sans position politique bien tranchée, est à vendre, Balzac l’achète, avec des fonds qu’il ne possède pas {{incise}}. L’entreprise, qui aurait paru dramatique à tout autre, le remplit de joie et il construit aussitôt ses « châteaux en Espagne ». Il veut en faire l'organe du {{Citation}}.
Quand enfin La Chronique de Paris paraît, le {{date}}, l’équipe comprend des plumes importantes : Victor Hugo, Gustave Planche, Alphonse Karr et Théophile Gautier, dont Balzac apprécie le jeune talent ; pour les illustrations, le journal s'attache les noms de Henry Monnier, Grandville et Honoré Daumier. Balzac se réserve la politique, car le journal est un outil de pouvoir. Il fournira aussi des nouvelles. En réalité, si les membres de la rédaction festoient beaucoup chez Balzac, bien peu d’entre eux tiennent leurs engagements et Balzac est pratiquement le seul à y écrire. Il y publie des textes dont certains se retrouveront plus tard dans La Comédie humaine, mais remaniés cent fois selon son habitude, notamment L'Interdiction, La Messe de l'athée et Facino Cane.
Quant aux articles politiques signés de sa main, le ton en est donné par cet extrait paru le {{date}} : {{Citation}}
Balzac décrit avec une assez juste vision des choses la rivalité entre l'Angleterre et la Russie pour le contrôle de la Méditerranée. Il proteste contre l'alliance de la France et de l'Angleterre et dénonce le manque de plan de la diplomatie française. Enfin, il prophétise la domination de la Prusse sur une Allemagne unifiée. Il publie aussi dans ce journal des romans et des nouvelles.
Au début, La Chronique de Paris a un grand succès, et cette entreprise aurait pu être une véritable réussite. Mais Balzac est obligé de livrer, en même temps, à Madame Béchet et Edmond Werdet, les derniers volumes des Études de mœurs. Il a par ailleurs fait faillite dans une affaire chimérique avec son beau-frère Surville. Enfin il se brouille avec Buloz, nouveau propriétaire de la Revue de Paris, qui avait sans doute communiqué des épreuves du Lys dans la vallée pour une publication en Russie par La Revue étrangère. Balzac refuse dès lors de continuer à livrer son texte et il s'ensuit un procès. Par ailleurs, il est arrêté par la Garde nationale parce qu'il refuse d'accomplir ses devoirs de soldat-citoyen, et est conduit à la maison d’arrêt, où il passe une semaine avant que l’éditeur Werdet réussisse à l'en faire sortir. S'ensuivent cinq mois pénibles, durant lesquels il avoue son découragement à ses proches : {{Citation}}{{,}}. Le jugement lui donne toutefois raison contre Buloz, mais il est aussitôt poursuivi pour retard dans la livraison des romans promis à un autre éditeur, la veuve Béchet. Menacé d’être mis en faillite, il décide, en juillet 1836 d’abandonner La Chronique.
Les mésaventures qu'il vient de connaître alimenteront la création d'un de ses plus beaux romans, alors en chantier, Illusions perdues, dont la deuxième partie sera {{Citation}}.
alt=Portrait en buste. Crâne surmonté d'un foulard blanc. alt=Portrait peint d'un homme brun à collier de barbe portant une veste noire L’expérience ruineuse de La Chronique de Paris aurait dû décourager Balzac à jamais de toute entreprise de presse. Mais en 1840, Armand Dutacq —directeur du grand quotidien Le Siècle et initiateur, avec Émile de Girardin, du roman-feuilleton— lui offre de financer une petite revue mensuelle. Aussitôt Balzac imagine la Revue parisienne, dont Dutacq serait administrateur et avec lequel il partagerait les bénéfices. L’entreprise est censée servir les intérêts du feuilletoniste Balzac à une époque où Alexandre Dumas et Eugène Sue gèrent habilement le genre dans les quotidiens et utilisent au mieux le principe du découpage et du suspense. Balzac se lance alors dans la compétition, tout en rédigeant pratiquement seul pendant trois mois une revue qu’il veut également littéraire et politique. Il ouvre le premier numéro avec Z. Marcas le {{date}}, nouvelle qui sera intégrée à La Comédie humaine en août 1846 dans les Scènes de la vie politique.
Outre ses attaques contre le régime monarchique, la Revue parisienne se distingue par des critiques littéraires assez poussées dans la charge comme dans l’éloge. Parmi ses victimes on compte Henri de Latouche avec lequel Balzac est brouillé et qu’il méprise désormais : {{Citation}}
Il attaque son vieil ennemi, Sainte-Beuve, et se déchaîne contre son Port-Royal, se vengeant des humiliations passées : {{Citation bloc}}
Balzac s’en prend encore, çà et là, assez injustement, à Eugène Sue, mais rend un hommage vibrant à La Chartreuse de Parme de Stendhal, à une époque où, d’un commun accord, la presse ignorait complètement cet écrivain : {{Citation bloc}}
Il publie aussi un article intitulé « Sur les ouvriers », dans lequel il se rapproche des idées de Fourier. Mais cela marque le dernier numéro de la Revue parisienne, qui s’éteindra après la troisième parution, le 25 septembre 1840. Balzac et Dutacq partageront les pertes qui n’étaient d’ailleurs pas très lourdes. Cependant, une fois encore, Balzac a échoué dans la presse, et dans les affaires.
Dans cette monographie humoristique (1843), Balzac propose une analyse complète des composantes de la presse. On trouve dans ce pamphlet la définition du publiciste, du journaliste, du « faiseur d'articles de fond », du « pêcheur à la ligne » (le pigiste payé à la ligne), du « rienologue » : {{Citation}} Balzac sait se montrer désinvolte dans la satire, mais celle-ci lui vaudra une froide réception dans les milieux journalistiques.
La préface par Gérard de Nerval est dans le même ton. Dans un style pince-sans-rire, celui-ci donne une définition du canard : {{Citation}}.
Napoléon]] et colle sur la base un papier où est écrit : « Ce qu'il a entrepris par l'épée, je l'accomplirai par la plume.» {{encadré texte}}
Balzac était un écrivain d'une fécondité prodigieuse, il pouvait écrire vite, beaucoup et inlassablement. Ainsi, c’est en une seule nuit, chez son amie Zulma Carraud à La Poudrerie d’Angoulême, qu’il écrivit La Grenadière : {{citation}}
Même s'il avait une constitution apparemment robuste {{incise}}, il malmena sa santé par un régime épuisant, consacrant de seize à dix-huit heures par jour à l'écriture, et parfois même vingt heures quotidiennes. Dès 1831, il confiait à son amie Zulma : {{Citation}} Il estime que la volonté doit être un sujet d'orgueil plus que le talent : {{citation}}
Selon Stefan Zweig, la production littéraire de Balzac durant les années 1830-1831 est pratiquement sans équivalent dans les annales de la littérature : le romancier doit avoir écrit une moyenne de seize pages imprimées par jour, sans compter les corrections sur épreuves. Pour cela, il travaille surtout la nuit, pour ne pas être dérangé : {{Citation}} Ou encore : {{Citation}}
Pour soutenir ce rythme, il fait depuis des années une consommation excessive de café, qu'il boit « concassé à la turque » afin de stimuler « sa manufacture d'idées » : {{Citation}}
Ce régime lui était nécessaire pour parvenir à livrer à son éditeur la centaine de romans devant composer La Comédie humaine, en plus des articles promis aux journaux et revues. À cela s'ajoute aussi l'énorme recueil des Cent Contes drolatiques qu'il rédige entre 1832 et 1837, dans une veine et un style rabelaisiens. Il cherche toujours, par cette production continue, à régler les dettes que son train de vie frénétique et fastueux lui occasionne. Il entretient aussi une importante correspondance et fréquente les salons où il rencontre les modèles de ses personnages.
Il a une haute opinion du rôle de l'écrivain et considère sa tâche comme un sacerdoce : {{citation}}
alt=Profil d'une tête d'homme regardant vers sa gauche Mal aimé par sa mère, qui lui préférait son jeune frère Henry, Balzac {{Citation}}{{,}}. De petite taille et doté d'une tendance à l'embonpoint, il n'était pas spécialement séduisant, mais il avait un regard d'une force extraordinaire, qui impressionnait, comme le confirment de nombreux témoignages, notamment celui de Théophile Gautier : {{Citation bloc}}
Si Balzac attire les femmes, c'est d'abord parce qu'il les décrit dans ses romans avec une grande finesse psychologique. Comme le note un de ses contemporains : {{citation}} Une caricature le montre porté en triomphe par des femmes de trente ans.
En dépit de son inimitié viscérale pour le romancier, Sainte-Beuve confirme le succès que celui-ci rencontre auprès du public féminin et en explique l'origine : {{citation}}
Dans son Avant-propos, Balzac reproche à Walter Scott l'absence de diversité dans ses portraits de femmes et attribue cette faiblesse à son éthique protestante : {{citation}}
Ce sont souvent les femmes qui ont fait le premier pas vers le romancier, en lui écrivant une lettre ou en lui lançant une invitation. C'est le cas, notamment, de Caroline Landrière des Bordes, baronne Deurbroucq, riche veuve qu'il rencontre au château de Méré, chez le banquier Goüin, et qu'il eut brièvement le projet d'épouser en 1832. Dans le cas de Louise, qui se présente anonymement comme « une des femmes les plus élégantes de la société actuelle », le contact qu'elle a pris en 1836 est resté purement épistolaire et s'est arrêté après un an sans que son identité lui ait jamais été révélée. Une autre admiratrice, Hélène Marie-Félicité de Valette, qui se présente comme « bretonne et célibataire », mais qui en fait était veuve et avait un amant, lui écrit après avoir lu Beatrix en feuilleton, et l'accompagnera dans un voyage en Bretagne, en avril 1841.
En 1821, alors qu'il est de retour chez ses parents à Villeparisis, Balzac entre en relation avec {{Mme}}. Quoique son prénom usuel soit Antoinette, Balzac l'appellera toujours par son deuxième prénom, Laure, qui est aussi celui de sa sœur, ou la désigne comme la Dilecta (la bien-aimée). Celle-ci, qui est alors âgée de {{unité}}, a neuf enfants, parmi lesquels quatre filles, dont Julie, issue d'une liaison avec André Campi, ayant duré seize ans, de 1799 à 1815. Encore belle, dotée d'une grande sensibilité et d'une expérience du monde, elle éblouit le jeune homme, qui en devient l’amant en 1822, préférant la mère à sa fille Julie qu'elle lui proposait d'épouser. Laure lui tient lieu d'amante et de mère et forme l'écrivain. Elle l’encourage, le conseille, lui prodigue sa tendresse et lui fait apprécier le goût et les mœurs de l’Ancien Régime. Elle lui apporte aussi une aide financière substantielle lorsqu'il a des problèmes d'argent et qu'il est poursuivi par les huissiers. Il lui gardera une reconnaissance durable. À sa mort, en 1836, Balzac écrit : {{Citation}}. Leur correspondance ayant presque entièrement été détruite, seules quelques rares lettres témoignent aujourd'hui de la jalousie qu'elle éprouva lors des liaisons subséquentes de son amant, mais sans jamais lui en tenir rigueur.
Balzac s'en inspire pour créer le personnage de Madame de Mortsauf, héroïne du Lys dans la vallée, et lui dédie d'ailleurs l'ouvrage. Elle a aussi des points en commun avec le personnage de Flavie Colleville des Petits Bourgeois. Stefan Zweig la reconnaît aussi dans la description de l'héroïne de Madame Firmiani : {{Citation}}
alt=Tableau représentant une femme vêtue d'une robe grise qui porte dans ses bras un bébé à demi-nu Zulma Carraud était une amie d'enfance de sa sœur Laure. Cette « femme de haute valeur morale, stoïcienne virile » vivait à Issoudun, était mariée et avait des enfants. Balzac la connaît depuis 1818, mais leur amitié ne se noue que lors de l'installation de sa sœur à Versailles, en 1824. Leur correspondance aurait commencé dès cette date, mais les premières années en ont été perdues. Dans ses lettres, Zulma se révèle une des amies les plus intimes et les plus constantes de l'écrivain. C'est chez elle qu'il se réfugie quand il est malade, découragé, surmené ou poursuivi par ses créanciers. Elle lui rappelle l'idéal républicain et l'invite à plus d'empathie pour les souffrances du peuple. Quoique n'étant pas elle-même très riche, elle vole sans relâche à son secours. Elle est parmi les femmes qui ont joué un grand rôle dans sa vie.
alt=Lithographie : portrait de femme, vêtement blanc à petits volants, gros nœud autour du cou, cheveux longs mais plaqués sur le dessus, boucles sophistiquées sur les côtés et l'arrière de la tête
En 1825, il commence une autre liaison avec la duchesse d'Abrantès. Cette femme, qui a {{unité}} de plus que lui, le fascine par ses relations et son expérience du monde. Veuve du général Junot, qui avait été élevé au rang de duc par Napoléon, elle a connu les fastes de l'Empire avant de fréquenter les milieux royalistes. Elle a été l'amante du comte de Metternich. Ruinée et forcée de vendre ses bijoux et son mobilier, elle s'installe modestement à Versailles. C'est par une amie de sa sœur, qui vivait aussi à Versailles, que Balzac fait sa connaissance. Il est séduit, mais elle ne lui offre d'abord que son amitié, qui se transforme peu après en amour partagé.
Quoiqu'elle se prénomme Laure, Balzac ne l'appellera jamais que Marie. Elle lui donne des renseignements sur la vie dans les châteaux et les personnalités qu'elle a côtoyées. De son côté, il lui conseille d'écrire ses mémoires et lui tient lieu de conseiller et de correcteur littéraire.
La duchesse d'Abrantès a servi de modèle à la fois à la Vicomtesse de Beauséant dans la Femme abandonnée, ouvrage qui lui est dédié, et à la duchesse de Carigliano dans la Maison du chat-qui-pelote, ainsi qu'à certains traits de Félicité des Touches. Balzac rédige La Maison à Maffliers, près de L'Isle-Adam en 1829, alors que la duchesse d’Abrantès séjourne chez les Talleyrand-Périgord non loin de là.{{clr}}
alt=Portrait peint d'une femme cousant, elle porte une robe noire En 1831, Balzac fait la connaissance d'Aurore Dudevant venue tenter sa chance à Paris et fuir son mari. Il lui fait lire La Peau de chagrin et cet ouvrage suscite son enthousiasme.
En février 1838, il va retrouver « le camarade George Sand » dans son château de Nohant. Au cours des six jours qu'il y est resté, ils passent les nuits à bavarder, de « {{unité}} du soir après le dîner jusqu'à {{unité}} du matin ». Elle lui fait fumer « un houka et du lataki ». Rendant compte de cette expérience, il espère que le tabac lui permettra de {{Citation}}.
Par la suite, il continue à la rencontrer dans le salon qu'elle tient à Paris, où elle vit en couple avec Chopin. Ils échangent sur des questions de structure romanesque ou de psychologie des personnages et elle lui donne parfois des suggestions d'intrigues qu'elle ne pouvait pas traiter elle-même, notamment Les Galériens et Béatrix ou les Amours forcés. Il est aussi arrivé qu'elle signe un récit de Balzac que ce dernier ne pouvait pas faire accepter par son éditeur parce qu'il y en avait déjà trop de sa plume dans un même recueil. Balzac lui dédie les Mémoires de deux jeunes mariées.
De l'aveu même de l'auteur, elle a servi de modèle, dans Béatrix, au portrait de Félicité des Touches, un des rares portraits de femme qu'il ait faits conformes à la réalité. Dans une lettre à {{Mme}}, il nie toutefois qu'il y ait eu autre chose que de l'amitié dans sa relation avec l'écrivaine. {{clr}}
alt=Portrait peint : buste d'une femme nue sur fond jaune uniforme, tournée vers sa droite et regardant vers sa gauche, dont un sein est caché par son bras replié, et l'autre apparent, cheveux bruns longs mais remontés en chignon négligé ; signature en noir en bas à gauche : Rome 1830 H Vernet
Dès 1831, Balzac fréquente le salon d'Olympe Pélissier, « belle courtisane intelligente » qui fut la maîtresse d’Eugène Sue avant d’épouser Rossini en 1847. Il a avec elle une brève liaison.
Les personnages de demi-mondaines qui traversent La Comédie humaine, telles Florine et Tullia, lui doivent beaucoup. La scène de chambre de La Peau de chagrin aurait été jouée par Balzac lui-même chez Olympe, mais celle-ci ne ressemble en rien à Fœdora, et elle aura toujours avec lui des rapports amicaux et bienveillants. Ce dernier continuera à fréquenter son salon. Quant à la Fœdora de la nouvelle, Balzac précise dans une lettre : {{Citation}}{{clr}}
Au début de l'année 1832, parmi les nombreuses lettres qui lui viennent de ses admiratrices, Balzac en reçoit une de la duchesse de Castries, belle rousse au front élevé, qui tient un salon littéraire et dont l'oncle est le chef du parti légitimiste. Immédiatement intéressé, Balzac va lui rendre visite et lui offre des feuillets manuscrits de La Femme de trente ans, dont elle est en fait le modèle, au physique et au moral. En amoureux transi, il se rend à son château d'Aix-les-Bains, où il passe plusieurs jours à écrire, tout en faisant la connaissance du baron James de Rothschild, avec qui il noue une relation durable. Il l'accompagne ensuite à Genève en octobre de la même année, mais rentre dépité de ne pas voir ses sentiments partagés, et va se faire réconforter auprès de la dilecta.
Il témoigne de cette déception amoureuse dans La Duchesse de Langeais : {{Citation}} On l'a également reconnue dans le personnage de Diane de Maufrigneuse. {{Mme}}, qui avait du sang britannique, inspirera aussi en partie le personnage de lady Arabelle Dudley du Lys dans la vallée. Balzac lui dédie L'Illustre Gaudissart, une pochade qu’elle juge indigne de son rang, alors qu'elle est « un des plus anciens blasons du faubourg Saint-Germain ». Il continue toutefois à la voir de façon sporadique et c'est sans doute grâce à elle qu'il peut avoir une entrevue avec Metternich.
Marie-Caroline du Fresnay, fille de Maria du Fresnay et d'Honoré de Balzac, par Henriette Girouard-Lucquin (1865)
En 1833, il noue une intrigue secrète avec {{Citation}}
Marie du Fresnay, surnommée Maria, avait alors {{unité}} et attendait une fille de Balzac, Marie-Caroline du Fresnay. Balzac lui dédiera en 1839 le roman Eugénie Grandet, qu'il était alors en train d'écrire et dont l'héroïne est inspirée de la jeune femme. Il citera également sa fille dans son testament.
En avril 1835, Balzac a le coup de foudre pour la comtesse Guidoboni-Visconti, née Frances-Sarah Lovell, issue de la plus ancienne gentry anglaise. Il la décrira plus tard comme {{Citation}}. Une jeune amie de la Contessa décrit ainsi les affinités entre ces deux personnalités : {{Citation bloc}}
Ils se verront très fréquemment durant cinq ans. Balzac l'accompagne dans sa loge à l'opéra et, selon certaines sources, elle aurait eu un enfant de lui. D'une grande indépendance d'esprit, elle ne cherche pas à accaparer l'écrivain comme le fait {{Mme}}, à qui celui-ci continue à écrire des lettres l'assurant d'un amour exclusif et niant qu'il y ait autre chose qu'une relation platonique avec la Contessa. En 1836, celle-ci et son mari confieront à Balzac une mission en Italie, au cours de laquelle l'écrivain se fait accompagner de Caroline Marbouty, jeune femme un peu fantasque, à qui il demande de se travestir en « page » et qu'il appelle Marcel, dans l'espoir d'éviter les commérages. À son retour, il apprend la mort de {{Mme}}.
Les Guidoboni-Visconti l'aideront financièrement à plusieurs reprises, le faisant échapper à la prison pour dette, lui donnant asile pendant plusieurs semaines en 1838 et dissimulant ses objets précieux lorsqu'il est poursuivi par les huissiers. Cette relation devient tendue lorsque, en 1840, le comte lui-même est attaqué en justice pour avoir aidé Balzac à échapper à ses créanciers, mais il signera encore une prolongation de prêt à l'écrivain en 1848.
La comtesse a inspiré le personnage de Lady Dudley du Lys dans la vallée, du moins sur le plan physique, car si elle avait le feu et la passion du personnage, elle était plus généreuse et n'en avait pas la perversité.
alt=Portrait peint en couleurs d'une femme, teint pâle, cheveux noir avec des anglaises sur les côtés, portant un voile léger de couleur claire ; signature en noir en bas à droite : Sowgen 1825 alt=Tableau d'une femme semi-assise, vêtue d'une robe jaune et d'une chemise blanche ayant ses pieds un chien blanc à tâches rousses, dans un paysage lointain de montagnes, avec un temple à colonnes de style grec, et un rosier en pot sur un muret. Balzac voue sa passion la plus durable à la comtesse Hańska, une admiratrice polonaise mariée à un maréchal résidant en Ukraine{{,}}. Sans doute en guise de jeu, celle-ci lui adresse une première lettre, qui lui arrive le {{date}}. Signant L'Étrangère, elle demandait de lui en accuser réception dans le journal La Gazette de France. Elle avait alors trente-et-un ans, mais en avouait vingt-cinq, et avait eu plusieurs enfants, dont seule Anna avait survécu.
Balzac fait paraître sa réponse le {{date}} et lui envoie un court billet en mai 1832, mais n'entame leur correspondance directe qu'en janvier 1833, en utilisant comme intermédiaire la gouvernante de la petite Anna. Dès la troisième lettre, il lui déclare un amour indéfectible, alors même qu'il ne l'a jamais vue, ne sait pas son âge et ne connaît rien d'elle ; selon Stefan Zweig, l'écrivain voulait ainsi se donner une passion romantique comparable à celles des écrivains et artistes qui défrayaient alors la chronique. Ils se voient pour la première fois en septembre 1833 au bord du lac de Neuchâtel, puis en décembre à Genève. Il reçoit enfin les gages de son amour le 26 janvier 1834, lors d'une promenade à la Villa Diodati de Cologny, un endroit d'autant plus mythique dans son imaginaire que lord Byron y avait vécu et que {{Mme}} s'y était autrefois refusée à lui.
Épouser cette comtesse, qu'il appelle son « étoile polaire » devient dès lors son grand rêve et son ultime ambition, car cela consacrerait son intégration à la haute société de l'époque. Il va la courtiser pendant dix-sept ans au moyen d'une abondante correspondance, dans laquelle l'écrivain lui assure qu'il mène une vie monacale et ne pense qu'à la revoir, conformément aux exigences très strictes qu'elle lui avait imposées. Une deuxième rencontre a lieu en mai 1835 lors d'un séjour à Vienne, où elle lui fait rencontrer la haute société polono-russe et dont il revient plus amoureux que jamais.
Lorsqu'elle devient veuve en novembre 1841, il espère à nouveau pouvoir réaliser son rêve et lui écrit une lettre enflammée, mais la comtesse répond froidement en lui reprochant de ne pas être allé la voir depuis sept ans et de l'avoir trompée avec d'autres femmes. Consterné de voir lui échapper la possibilité d'un mariage qui le renflouerait et lui permettrait une vie princière, Balzac multiplie les lettres dans lesquelles il se met à ses pieds en lui professant une totale dévotion, si bien qu'il finit par obtenir qu'elle lui laisse de nouveau espérer le mariage. Il obtient enfin de la revoir à l'été 1843 à Saint-Pétersbourg.
En mai 1843, il apprend qu'Éveline, alors âgée de 42 ans, est enceinte. Il s'imagine que ce sera un garçon et décide de l'appeler Victor-Honoré. Malheureusement, Éveline lui annonce en novembre qu'il faut renoncer à cet espoir en raison d'une fausse couche. Très affecté par cette nouvelle, il a pleuré « trois heures, comme un enfant ». Il ressentira cette mort comme un échec symbolique de son activité de création.
En 1845 et 1846, Balzac fait de nombreux voyages à travers l'Europe avec {{Mme}}, sa fille Anna et son gendre, Georges Mniszech. {{Mme}} vient vivre chez lui à Paris durant les mois de février et mars 1847, et sa présence stimulera la puissance créatrice de Balzac, qui publie trois romans durant ce temps. En septembre 1847, il peut enfin aller la rejoindre dans son château de Wierzchownia, en Ukraine, à {{unité}} de toute ville habitée. La châtelaine règne sur une propriété de {{unité}}, avec plus de {{unité}} et son château compte plus de {{unité}}. Il échafaude un projet d'exploitation des forêts de chêne du domaine afin de fournir des traverses aux chemins de fer européens, mais ce projet n'aura pas de suite. En janvier 1848, il décide de rentrer à Paris.
Le mariage ne se fera finalement qu'en 1850.
Les demeures de Balzac font partie intégrante de La Comédie humaine. Obligé de quitter un appartement pour échapper à ses créanciers, il possède parfois deux logements en même temps.
En 1826, Balzac s'installe chez Henri de Latouche, rue des Marais-Saint-Germain (aujourd’hui rue Visconti). Son ami lui aménage une garçonnière au premier étage, où l’écrivain peut recevoir Madame de Berny. Surtout, cette demeure offre au rez-de-chaussée un espace assez vaste pour installer l'imprimerie dont il a fait l'acquisition. Très vite, cependant, cette entreprise commerciale échoue. Alexandre Deberny, sixième des neuf enfants de Laure de Berny, prend la direction de l’affaire. Il sauve du désastre la fonderie de caractères qui deviendra la célèbre fonderie Deberny & Peignot, qui ne fermera que le {{date}}{{,}}. alt=Photographie en couleurs d'un bâtiment à deux niveaux vu d'un parc arboré, à droite, il est surmonté par une coupole
En 1828, assailli par ses créanciers, Balzac se réfugie au {{numéro}} de la rue Cassini, logement que son beau-frère Surville a loué pour lui dans le quartier de l’observatoire de Paris, considéré à l’époque comme « le bout du monde » et qui inspirera sans doute l’environnement géographique de lHistoire des Treize. Latouche, qui a en commun avec Balzac le goût du mobilier, participe activement à la décoration des lieux, choisissant, comme pour la garçonnière de la rue Visconti, de couvrir les murs d’un tissu bleu à l’aspect soyeux. Balzac se lance dans un aménagement fastueux, avec des tapis, une pendule à piédestal en marbre jaune, une bibliothèque d’acajou remplie d’éditions précieuses. Son cabinet de bain en stuc blanc est éclairé par une fenêtre en verre dépoli de couleur rouge qui inonde les lieux de rayons roses. Le train de vie de Balzac est à l’avenant : costumes d’une élégance recherchée, objets précieux, dont une canne à pommeau d’or ciselée avec ébullitions de turquoises et de pierres précieuses, qui deviendra légendaire.
Le fidèle Latouche s’endette pour aider son ami à réaliser sa vision du « luxe oriental » en agrandissant par achats successifs le logement qui deviendra un charmant pavillon. C’est dans ce lieu que naîtront nombre de ses romans, notamment Les Chouans, la Physiologie du mariage, La Peau de chagrin, La Femme de trente ans, Le Curé de Tours, Histoire des Treize et La Duchesse de Langeais, qui est inspiré en partie par le couvent des Carmélites, proche de la rue Cassini. Balzac jettera pendant ces années-là les premières bases de La Comédie humaine.
Mais son train de vie luxueux dépasse de loin ses revenus et, après quelques années, il croule sous des dettes énormes, malgré l’argent que lui rapporte son énorme production littéraire et en dépit du fait qu'il est l'écrivain le plus lu de l'époque. En mars 1835, il va se cacher provisoirement dans un autre appartement, rue des Batailles, tout en gardant le logement de la rue Cassini. Pourchassé par la Garde nationale, il est finalement arrêté, dans son logement de la rue Cassini, le 27 avril 1836 et incarcéré jusqu'au 4 mai. Rapidement libéré, il doit cependant encore échapper à ses créanciers.
alt=Photographie en couleur d'une place ornée d'une statue de cavalier, à gauche un immeuble en rotonde, à droite une avenue En mars 1835, pour fuir les créanciers qui le harcèlent, il se réfugie dans un second logement, au 13, rue des Batailles (aujourd'hui avenue d'Iéna), dans le village de Chaillot, qu'il loue sous le nom de veuve Durand. On n’y entre qu’en donnant un mot de passe, il faut traverser des pièces vides, puis un corridor pour accéder au cabinet de travail de l’écrivain. La pièce est richement meublée, avec des murs matelassés. Elle ressemble étrangement au logis secret de La Fille aux yeux d'or. Là, Balzac travaille jour et nuit à l’achèvement de son roman Le Lys dans la vallée, dont il a rédigé l’essentiel au château de Saché. En même temps, il écrit Séraphîta qui lui donne beaucoup de mal : {{Citation}}
alt=Photographie couleur d'une bâtiment en pierre sur quatre niveaux dont le toit est en ardoise {{Article détaillé}}
Balzac a fait plusieurs séjours au château de Saché en Touraine de 1830 à 1837, chez son ami Jean de Margonne, auquel la rumeur prête une liaison avec la mère de l'écrivain, dont serait né un enfant. Mais on n’a aucune preuve sur ce point. C'est là qu'il a travaillé à l'écriture du Père Goriot, dIllusions perdues et de La Recherche de l'absolu. Mais il y a surtout trouvé l'inspiration pour Le Lys dans la vallée. La vallée de l’Indre, ses châteaux et sa campagne ont servi de cadre au roman. Le château de Saché est d'ailleurs surnommé le « château du Lys » ; il est devenu dans le roman le château de Frapesle, demeure de Laure de Berny. Depuis 1951, le château abrite un musée consacré à la vie de Balzac. Il expose de nombreux documents d'époque dont quelques portraits de l'écrivain (le plus précieux étant dû à Louis Boulanger), et conserve en l’état au deuxième étage la petite chambre où il se retirait pour écrire. Une pièce de théâtre de Pierrette Dupoyet, Bal chez Balzac, prend pour cadre le château de Saché en 1848.
{{Article détaillé}} alt=Photographie couleurs d'une maison à deux niveaux à volets rouges.
Balzac achète la maison des Jardies à Sèvres en 1837, dans l'espoir d'y finir ses jours en paix. Cette maison située non loin de la voie de chemin de fer qui vient d’être créée entre Paris et Versailles lui permet de s'éloigner de l'enfer de la capitale. Il entrevoit aussi la possibilité de spéculer sur les terrains environnants en vendant aux habitants de la capitale des parcelles à lotir. Il élargit sa propriété par des achats successifs et loue une de ses maisons pour trois ans au comte Guidoboni-Visconti.
Léon Gozlan et Théophile Gautier ont été témoins de la folie des grandeurs de Balzac qui a d’abord voulu transformer la maison en palais avec des matériaux précieux, et qui a vaguement fait allusion à des plantations d’ananas. Mais cette anecdote reste une légende déformée et amplifiée, car Balzac rêvait d’arbres et de fruits tropicaux. Il y travaille à une pièce, L'École des ménages, qu'il ne parviendra pas à faire jouer, et se met à la deuxième partie dIllusions perdues.
En 1840, recherché pour dettes par la garde nationale et par les huissiers, il met la propriété en vente et va se cacher à Passy. La seule trace qu’il ait laissée de son passage est un buffet rustique.
alt=Portrait peint d'un homme moustachu, les bras croisés portant une robe de chambre blanche {{Article détaillé}}
En octobre 1840, sous le nom de « Madame de Breugnol », Balzac s’installe rue Basse à Passy (actuellement rue Raynouard) dans un logement à deux issues où l’on n'est autorisé à pénétrer qu’en donnant un mot de passe. Madame de Breugnol, de son vrai nom Louise Breugniol, née en 1804, existe réellement. Elle tient lieu de « gouvernante » à l’écrivain {{incise}}. Elle filtre les visiteurs et n'introduit que les personnes « sûres » comme le directeur du journal L’Époque auquel Balzac doit livrer un feuilleton. L’écrivain vivra sept ans dans un appartement de cinq pièces situé en rez-de-jardin du bâtiment. L’emplacement est très commode pour rejoindre le centre de Paris en passant par la barrière de Passy via la rue Berton, en contrebas. Balzac apprécie le calme du lieu et le jardin fleuri. C’est ici que sa production littéraire est la plus abondante. Dans le petit cabinet de travail, Balzac écrit, vêtu de sa légendaire robe de chambre blanche, avec pour tout matériel une petite table, sa cafetière et sa plume.
Dans la maison de Passy, il produit entre autres La Rabouilleuse, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette, Le Cousin Pons, et remanie l’ensemble de La Comédie humaine. Cette maison, devenue aujourd’hui la maison de Balzac, a été transformée en musée, en hommage à ce géant de la littérature. On y trouve ses documents, manuscrits, lettres autographes, éditions rares, et quelques traces de ses excentricités comme la fameuse canne à turquoises, et sa cafetière avec les initiales « HB ». Outre l’appartement de Balzac, le musée occupe trois niveaux et s’étend sur plusieurs pièces et dépendances autrefois occupées par d’autres locataires. Une Généalogie des personnages de La Comédie humaine est présentée sous la forme d’un tableau long de {{unité}} où sont référencés {{unité}} sur les quelque 2500 que compte La Comédie humaine.
André Maurois considère qu’il y a, à cette époque-là, deux êtres en Balzac : {{Citation}}
alt=Peinture représentant un immeuble sur trois niveaux vu de la rue
Balzac a une idée fixe : épouser la comtesse Hańska et aménager pour sa future femme un palais digne d’elle. Pour cela, le {{date}}, il achète, avec l’argent de la comtesse, la Chartreuse Beaujon, une dépendance de la Folie Beaujon, située rue Fortunée (aujourd’hui rue Balzac). Il la décore selon ses habitudes avec une splendeur qui enchante son ami Théophile Gautier, accumulant meubles anciens, tapis précieux et tableaux de maîtres, mais ce travail de collectionneur lui prend tout le temps qu’il devrait consacrer à l’écriture. D’ailleurs, Balzac n’a plus le goût d’écrire. Il lui faudra aller à Verkhovnia, en Ukraine, pour retrouver son élan et produire le deuxième épisode de L'Envers de l'histoire contemporaine, La Femme auteur. Mais, de retour à Paris, c’est un Balzac à bout de force qui entame, dès 1848, Les Paysans et Le Député d'Arcis, romans restés inachevés à sa mort. C’est d’ailleurs ce « palais » de la rue Fortunée qui aurait dû être le musée Balzac si le bâtiment n’avait été détruit et les collections dispersées.
alt=Photographie couleur sépia : un immeuble à deux niveaux sur une parcelle séparée de la rue par un muret muni de grille métallique, nombreuses fenêtres presque toutes obturées par des volets à persiennes, chiens assis dépassant du toit Balzac a beaucoup milité pour le respect des écrivains. Dès 1834, dans une « Lettre adressée aux écrivains français du {{s-}} », il les exhorte à régner sur l’Europe par la pensée plutôt que par les armes, leur rappelant que le fruit de leurs écrits rapporte des sommes énormes dont ils ne bénéficient pas : {{Citation}} Il agit comme témoin lors d'un procès en contrefaçon et veut aller en Russie pour obtenir une loi de réciprocité sur la propriété littéraire.
S'il n'a pas participé à la séance de fondation de la Société des gens de lettres, en 1838, il y adhère toutefois dès la fin de cette année et devient membre du Comité le printemps suivant. La Société se définit comme une association d’auteurs destinée à défendre le droit moral, les intérêts patrimoniaux et juridiques des auteurs de l’écrit. Il en devient le président le 16 août 1839 et président honoraire en 1841. En tant que président, il plaide au nom de la Société contre le Mémorial de Rouen, afin de gagner un procès en contrefaçon. En 1840, il rédige un Code littéraire comptant 62 articles répartis en six sections, encadrant les contrats de cession des droits de l'écrivain, exigeant le respect de l'intégrité des œuvres de l'esprit et établissant le droit de paternité. En mars 1841, il soumet l'essentiel de ce code à la Chambre des députés sous la forme de Notes sur la propriété littéraire, mais son intervention reste sans succès. Les principales propositions de Balzac ne seront reconnues par le législateur que bien plus tard.
L'action de Balzac, raillée par Sainte-Beuve qui ridiculisait {{Citation}}, a contribué au rapprochement des écrivains autour d'une identité commune et a servi la condition littéraire. Elle aura par la suite un soutien important en Émile Zola, qui poursuivra la tâche.
Balzac a beaucoup voyagé : Ukraine, Russie, Prusse, Autriche, Italie. Le {{date}}, il assiste au mariage d'Anna Hańska, fille d'Ewelina Hańska, à Wiesbaden. Mais bien peu de lieux, en dehors de Paris et de la province française, seront une source d’inspiration pour lui. Seule l’Italie lui inspire une passion qu’il exprime dans de nombreux écrits, notamment les contes et nouvelles philosophiques. En Russie, c’est plutôt Balzac qui laissera ses traces en inspirant Dostoïevski.
alt=Photographie couleurs d'une porte fortifiée ornée de lions, à droite une tour à horloge
En 1836, il se rend en Italie en qualité de mandataire de ses amis Guidoboni-Visconti afin de régler à Turin une obscure affaire de succession. Il est accompagné par Caroline Marbouty, déguisée en jeune homme. Le voyage est assez bref.
En février 1837, les Guidoboni-Visconti lui confient une autre mission, cette fois à Milan, pour régler une autre affaire de succession, tout en lui permettant ainsi d'échapper aux poursuites des huissiers. Sa réputation l'ayant précédé, il est fêté par l'aristocratie. Il fréquente assidument le salon de Clara Maffei et partage à La Scala la loge du prince Porcia et de sa sœur, la comtesse Sanseverino-Vimercati. Sa rencontre avec le poète Manzoni, la gloire littéraire de Milan, est décevante pour ses hôtes, car Balzac ne l'a pas lu et ne parle que de lui. L'écrivain se rend ensuite à Venise, où il passe neuf jours à visiter musées, églises, théâtres et palais. Il laissera une lumineuse description littéraire de cette ville dans Massimilla Doni. Sa mission ayant été un succès, tout comme la précédente, il fait ensuite un séjour à Florence, passe par Bologne pour saluer Rossini et rentre en France le 10 mai. À la suite de ce voyage, il peindra la femme italienne comme un modèle de fidélité amoureuse.
Il retourne en Italie en mars 1838, via la Corse, afin de lancer une entreprise de récupération du minerai d'argent contenu dans les scories des anciennes mines de Sardaigne. Malheureusement, il a été pris de vitesse par un Génois à qui il avait parlé de son projet lors de sa visite précédente. Il se lie avec le marquis Gian Carlo di Negro et le marquis Damaso Pareto.
Il aime l’Italie, cette {{citation}}, pour sa beauté naturelle, pour la générosité de ses habitants, pour la simplicité et l’élégance de son aristocratie, qu’il considère comme {{citation}}, et ne tarit pas d’éloges sur ses splendeurs. Il exalte la beauté de ses opéras, auxquels il consacre deux nouvelles jumelles : Gambara, qui évoque Le Barbier de Séville, et Massimilla Doni, dans laquelle il donne une magistrale interprétation du Mosé. Il est également fasciné par la richesse de sa peinture. Il met en scène la sculpture et la ville de Rome dans Sarrasine.
alt=Photographie couleurs de quatre flèches de monuments dépassant d'un mur de forteresse devant un fleuve
C’est au contraire avec un peu de méfiance qu’on le voit arriver à Saint-Pétersbourg en 1843 pour aider {{Mme}} dans une affaire de succession. Sa réputation d’endetté perpétuel est notoire et l’a précédé. À Paris déjà, lorsqu’il demande un visa, le secrétaire d’ambassade Victor de Balabine suppose qu’il va en Russie parce qu’il n’a pas le sou, et le chargé d’affaires russe à Paris propose à son gouvernement {{citation}} Ce en quoi il se trompe, car Balzac ne réfutera pas cet ouvrage, pas plus qu’il ne cherchera des subsides à Saint-Pétersbourg : il n’est venu que pour voir madame Hańska. Il est déjà très aimé et très lu en Russie où il est considéré comme l’écrivain qui a {{citation}}.
Il prend le bateau à Dunkerque et arrive à Saint-Pétersbourg le 29 juillet 1843. Invité à se joindre aux personnalités qui assistent à la grande revue annuelle des troupes, il côtoie divers princes et généraux russes. Les amants se verront, discrètement, durant deux mois. Le 7 octobre, il regagne la France par voie de terre, tout en faisant un court séjour à Berlin et une visite des champs de bataille napoléoniens de Leipzig et Dresde en vue d'un futur ouvrage.
alt=Dessin de Balzac en pied, où la tête est grossie.
Dès 1845, le rythme de la production ralentit et Balzac se lamente dans ses lettres de ne pas pouvoir écrire. En 1847, il avoue sentir se désagréger ses forces créatrices. Comme le héros de son premier grand livre, La Peau de chagrin, il semble avoir eu très jeune le pressentiment d'un écroulement prématuré.
En août 1848, il obtient finalement du pouvoir russe un nouveau passeport pour se rendre en Ukraine. Il y arrive le 2 octobre. Il apprend sans surprise que l'Académie française a écarté une nouvelle fois sa candidature. Il espère toujours épouser la comtesse Hańska, mais la situation des amants est compliquée par la loi russe qui prévoit que la femme d'un étranger perd automatiquement ses biens fonciers, sauf oukase exceptionnel signé par le tsar. Or, ce dernier refuse sèchement. Le séjour en Ukraine ne réussit guère à l'écrivain épuisé et sa santé se détériore. Il attrape un gros rhume, qui évolue en bronchite, et son souffle se fait court. Trop faible pour voyager, il doit rester au repos de nombreux mois. Comme les relations deviennent tendues avec {{Mme}}, en raison des folles dépenses faites pour aménager la Chartreuse Beaujon, il écrit à sa mère de renvoyer la bonne afin de réaliser des économies.
Le mariage peut enfin avoir lieu le {{date}}, à sept heures du matin, dans l'église Sainte-Barbe de Berdytchiv. Sa vanité est comblée, mais sa santé continue à se dégrader ; il est malade du cœur et les crises d'étouffement sont de plus en plus fréquentes. Les époux décident toutefois de rentrer à leur demeure de la rue Fortunée à Paris. Ils quittent Kiev le 25 avril, mais le voyage est éprouvant, leur voiture s'enfonçant parfois dans la boue jusqu'aux portières. Ils arrivent finalement à Paris le {{date}}. Le docteur Nacquart, qui soigne l’écrivain avec trois confrères pour un œdème généralisé, ne parvient pas à éviter une péritonite, suivie de gangrène. Le romancier était épuisé par les efforts prodigieux déployés au cours de sa vie et le régime de forçat qu'il s'était imposé. La rumeur voudrait qu’il eût appelé à son chevet d’agonisant Horace Bianchon, le grand médecin de La Comédie humaine : il avait ressenti si intensément les histoires qu’il forgeait que la réalité se confondait avec la fiction. Il entre en agonie le dimanche 18 août dans la matinée et meurt à 23 heures 30. Victor Hugo, qui fut son ultime visiteur, a rendu un témoignage émouvant et précis sur ses derniers moments.
Lors des funérailles, le 21 août, au cimetière du Père-Lachaise (division 48), la foule était imposante et comptait notamment de nombreux ouvriers typographes. Alexandre Dumas et le ministre de l'Intérieur étaient auprès du cercueil, avec Victor Hugo, qui prononça l’oraison funèbre : {{Citation bloc}}
Il laissait à sa veuve une dette de {{unité}}. Celle-ci accepta toutefois la succession et continua de verser à la mère de Balzac une rente viagère, conformément au testament qu'il avait laissé. Elle prend soin aussi de son œuvre et demande à Champfleury de terminer les romans que Balzac avait laissés inachevés. Comme celui-ci refuse, elle confie à Charles Rabou le soin de compléter Le Député d'Arcis (écrit en 1847 et inachevé) et Les Petits Bourgeois (inachevé), mais {{Citation}}. Le Député d'Arcis paraîtra en 1854 et Les Petits Bourgeois en 1856. En 1855, {{Mme}} fait publier Les Paysans (écrit en 1844 et inachevé).
Octave Mirbeau, écrivain et journaliste français, inséra dans son récit de voyage La 628-E8 trois chapitres sur La Mort de Balzac, qui firent scandale en raison du comportement prêté à Ewelina Hańska pendant l'agonie de Balzac, selon des confidences que lui avait faites le peintre Jean Gigoux.