La vie de Vivaldi est mal documentée, car aucun biographe sérieux, avant le {{XXe_siècle}}, ne s’est préoccupé de retracer sa vie. On s’appuie donc sur de rares témoignages directs, ceux du président de Brosses, du dramaturge Carlo Goldoni, de l’architecte allemand von Uffenbach qui rencontrèrent le musicien, sur les quelques écrits de sa main et sur les documents de toutes natures retrouvés dans divers fonds d’archives en Italie et à l’étranger. Pour donner deux exemples concrets, ce n’est qu’en 1938 que Rodolfo Gallo a pu déterminer avec exactitude la date de son décès, portée sur l’acte retrouvé à Vienne, et en 1962, Éric Paul celle de sa naissance par l'identification de son acte de baptême. La date de 1678 qu'on supposait auparavant n’était qu’une estimation de Marc Pincherle, basée sur les étapes connues de sa carrière ecclésiastique.
Il en résulte que de nombreuses lacunes et imprécisions entachent encore sa biographie, et que se poursuivent les travaux de recherche. Certaines périodes de sa vie demeurent complètement obscures, de même que les nombreux voyages entrepris ou supposés dans la péninsule italienne et à l’étranger. Ceci est également vrai pour la connaissance de son œuvre, et l’on retrouve encore des pièces que l’on croyait perdues ou qui demeuraient inconnues, tel l'opéra Argippo, retrouvé en 2006 à Ratisbonne.
Son père, {{lien}} (vers 1655-1736), fils d'un tailleur de Brescia, était barbier, jouant du violon pour distraire les clients, puis devint violoniste professionnel ; sa mère, Camilla Calicchio, fille également d’un tailleur, était venue de la Basilicate. Ils s’étaient mariés en 1676 dans cette même église et eurent huit autres enfants dont deux moururent en bas âge, successivement : Margherita Gabriella (1680-?), Cecilia Maria (1683-?), Bonaventura Tommaso (1685-?), Zanetta Anna (1687-1762), Francesco Gaetano (1690-1752), Iseppo Santo (1692-1696), Gerolama Michaela (1694-1696), enfin Iseppo Gaetano (1697-?). Antonio, l'aîné, devait être le seul musicien parmi les enfants, cependant deux de ses neveux furent copistes de musique. On avait les cheveux roux de façon héréditaire dans la famille Vivaldi, et Giovanni Battista était nommé Rossi dans les registres de la Chapelle ducale : ce trait physique dont hérita Antonio était à l'origine de son surnom.
Le père avait probablement plus de goût pour la musique que pour son métier de barbier, car on le vit engagé dès 1685 comme violoniste de la basilique Saint-Marc, haut lieu de la musique religieuse en Italie où s’étaient illustrés plusieurs grands noms de la musique, notamment Willaert, Merulo, les Gabrieli, Monteverdi, Cavalli. Sa célèbre maîtrise fut confiée la même année à Giovanni Legrenzi. Il fut, tout comme celui-ci et comme son collègue Antonio Lotti, parmi les fondateurs du Sovvegno dei musicisti di Santa Cecilia, confrérie de musiciens vénitiens. À son engagement à la Chapelle ducale, il ajouta à partir de 1689 ceux de violoniste au teatro di San Giovanni Grisostomo et à l’Ospedale dei Mendicanti.
Antonio apprit le violon auprès de son père, et il se révéla précoce et extrêmement doué. Tôt admis à la Chapelle ducale, il reçut peut-être, aucune preuve n’ayant été retrouvée, des leçons de la part de Legrenzi lui-même. Ce ne put être cependant que de courte durée, et l’influence reçue minime, car celui-ci mourut en 1690. Il est certain néanmoins qu'Antonio Vivaldi bénéficia pleinement de l’intense vie musicale qui animait la basilique Saint-Marc et ses institutions, où de temps à autre il prenait la place de son père.
Bien que mal connu, le rôle qu’a joué Giovanni Battista Vivaldi dans la vie et le développement de la carrière de son fils Antonio semble d’une importance primordiale et prolongée, puisqu’il décéda cinq ans seulement avant lui. Il semble qu'il lui ait ouvert bien des portes, notamment dans le milieu de l’opéra, et qu'il l’ait accompagné dans de nombreux voyages.
À la même époque, le jeune homme avait été choisi comme maître de violon par les autorités du {{langue}} (hospice, orphelinat et conservatoire de musique de haut niveau) et engagé à cet effet en août 1703, aux appointements annuels de 60 ducats. En italien, le mot Pietà ne signifie pas Piété mais Pitié.
Fondée en 1346, cette institution religieuse était le plus prestigieux des quatre hospices financés par la Sérénissime République, et destinés à recueillir les jeunes enfants abandonnés, orphelins, naturels, ou de famille indigente — les autres établissements avaient pour nom : {{langue}}, {{langue}}, {{langue}}. Les garçons y séjournaient jusqu'à l’adolescence, puis partaient en apprentissage, mais la Pietà n'abritait que des filles. Cloîtrées presque comme des religieuses, certaines d'entre elles recevaient une éducation musicale poussée, ce qui en faisait des chanteuses et des musiciennes de valeur : quelques-unes pouvaient chanter les parties de ténor et de basse des chœurs et jouer de tous les instruments. Une hiérarchie distinguait les jeunes filles, selon leur talent : à la base se trouvaient les {{langue}} ; plus expérimentées étaient les {{langue}} qui pouvaient prétendre à être demandées en mariage et pouvaient se produire à l’extérieur ; au sommet étaient les {{langue}} qui pouvaient instruire leurs compagnes. Des concerts publics et payants étaient organisés et très courus des mélomanes et des amateurs d’aventures galantes. Chaque {{langue}} avait un maître de chœur, {{langue}}, responsable de l’enseignement de la musique (le terme s’applique à la musique vocale, mais aussi instrumentale), un organiste, un professeur d’instruments, {{langue}}, et d’autres professeurs spécialisés. Dans sa lettre du 29 août 1739 adressée à M. de Blancey, Charles de Brosses écrivit
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Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau donna un autre témoignage de la qualité de ces orchestres de jeunes filles qu’il a pu apprécier pendant son séjour à Venise de 1743 à 1744 où il fut secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise ; on sait qu'il fut d'ailleurs par la suite un sectateur inconditionnel de la musique italienne, comme en fait foi sa fameuse Lettre sur la musique française.
Disposer à volonté de ces musiciennes chevronnées, sans souci du nombre ni du temps passé ou du coût était un avantage considérable pour un compositeur, qui pouvait ainsi donner libre cours à sa créativité et mettre à l’essai toutes sortes de combinaisons musicales. Or, dès cette époque, le jeune maître de violon avait certainement débuté sa carrière de compositeur et commencé à se faire remarquer par ses œuvres diffusées en manuscrits, sa renommée naissante a pu justifier son choix pour ce poste important.
Cet engagement n’était pas perpétuel, mais soumis au vote régulier des administrateurs. L’esprit d’indépendance de Vivaldi lui a valu à plusieurs reprises un vote défavorable et un éloignement temporaire. En 1704 il se vit confier l’enseignement de la {{langue}} avec un salaire porté à cent ducats, et en 1705 celui de la composition et de l’exécution des concertos, son salaire étant augmenté à cent cinquante ducats annuels, somme minime à laquelle s’ajoutait la rémunération des messes quotidiennes dites pour la Pietà ou pour de riches familles patriciennes également acheteuses de concertos.
La direction musicale de la Pietà était assurée depuis 1701 par Francesco Gasparini, « {{langue}} ». Celui-ci, musicien de talent et extrêmement fécond (il composa plus de soixante opéras), consacrait cependant une part prépondérante de son activité à monter des opéras au théâtre San Angelo. Il se déchargea donc sur Vivaldi d’un nombre croissant de tâches, lui permettant de devenir, de fait, le principal animateur de musique de l’établissement.
Cette même année, Vivaldi prit part à un concert chez l’abbé de Pomponne, alors ambassadeur de France : il resta, en quelque sorte, le musicien officiel de la représentation diplomatique française à Venise. Lui et ses parents habitèrent dès lors dans un appartement du campo dei SS. Filippo e Giacomo, situé derrière la Basilique Saint-Marc.
En 1706, les Vivaldi, père et fils, furent désignés dans un guide destiné aux étrangers (Guida dei forestieri en Venezia) comme les meilleurs musiciens de la ville.
Il se consacra alors exclusivement à la musique, car à l’automne 1706, il cessa définitivement de dire la messe. Fétis qui, par ailleurs ne consacra à Vivaldi qu’une demi-page dans sa monumentale Biographie universelle des musiciens et biographie générale de la musique publiée en 1835, rapporta une explication, démentie par les écrits de l’intéressé lui-même, redécouverts depuis lors, mais qui fit florès :
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Dans une lettre écrite en 1737, Vivaldi exposa une raison différente et plausible, à savoir que la difficulté respiratoire, cette oppression de poitrine, qu’il a toujours éprouvée l’aurait obligé à plusieurs reprises à quitter l’autel sans pouvoir terminer son office, et qu’il avait ainsi volontairement renoncé à cet acte essentiel de la vie d’un prêtre catholique. Pour autant, il ne renonça pas à l’état ecclésiastique, continuant sa vie durant à en porter l’habit et à lire son bréviaire ; il était d’ailleurs extrêmement dévot. Dans son Historisch-biographisches Lexikon der Tonkünstler en deux volumes (1790/1792), le compositeur et musicographe Ernst Ludwig Gerber affirme même qu’il était {{citation}} — ce qui ne l’empêcha pas de se consacrer pendant toute sa carrière à des activités séculières bien loin des préoccupations normales et habituelles d’un prêtre.
Par sa virtuosité et la diffusion croissante de ses compositions, Vivaldi sut s’introduire efficacement dans les milieux les plus aristocratiques. Il fréquentait le palais Ottoboni. En 1707, lors d’une fête donnée par le prince Ercolani, ambassadeur de l’empereur d’Autriche, il participa à une joute musicale qui l’opposa à un autre prêtre violoniste, don Giovanni Rueta, musicien bien oublié aujourd’hui, mais protégé de l’Empereur lui-même : un tel honneur ne pouvait être accordé qu’à un musicien jouissant déjà de la plus haute considération.
Dans la même période, plusieurs musiciens étrangers vinrent séjourner à Venise. Pendant le carnaval de 1707, Alessandro Scarlatti fit représenter au théâtre San Giovanni Grisostomo (celui-là même où le père Vivaldi était violoniste) deux de ses opéras de facture napolitaine : Mitridate Eupatore et Il trionfo della libertà. L’année suivante son fils Domenico Scarlatti, le fameux claveciniste, vint étudier auprès de Gasparini auquel s’était lié d’amitié son père. Enfin, Georg Friedrich Haendel, sur la fin de son séjour italien, vint aussi dans la ville des lagunes et y fit représenter triomphalement, le 26 décembre 1709, son opéra Agrippina dans le même théâtre San Giovanni Grisostomo. Même si l’on n’en a pas de preuve certaine, tout — les lieux fréquentés comme les personnes côtoyées — laisse penser que Vivaldi n’a pas pu manquer de rencontrer ces confrères, qui lui auront peut-être donné l’envie de tâter de l’opéra. Cependant, aucune influence stylistique ne peut se déceler dans leurs productions respectives.
L’empressement de Vivaldi à l’égard du roi du Danemark était peut-être lié à l’évolution de ses rapports avec les gouverneurs de la Pietà dont le vote, en février, avait mis fin à ses fonctions. De cette date à septembre 1711, un flou complet entoure ses activités. Cependant, son père fut engagé en 1710 comme violoniste au théâtre Sant’Angelo, l’un des nombreux théâtres vénitiens produisant des opéras. C’est peut-être par son entremise qu’Antonio approfondit ses relations avec Francesco Santurini, douteux impresario de ce théâtre qui y était également l’associé de Gasparini.
On sait en tout cas qu’il était présent à Brescia en février 1711, et l’hypothèse d’un voyage à Amsterdam est évoquée.
Son opus 3, recueil de douze concertos pour instruments à cordes, intitulé L'estro armonico sortit des presses d’Estienne Roger en 1711. Il était dédié à l’héritier du Grand-duché de Toscane, Ferdinand de Medicis, prince de Florence (1663-1713) et marqua une date capitale dans l’histoire de la musique européenne : de cet ouvrage date en effet la transition entre le concerto grosso et le concerto de soliste moderne.
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Ouvrages contemporains et posthumes, les recueils de Torelli (opus 8 édité en 1709) et de Corelli (opus 6 édité en 1714) restaient fidèles à la forme du concerto grosso ; Vivaldi proposait de façon inédite dans son recueil des concertos grossos de facture traditionnelle, généralement en quatre mouvements (lent-vif-lent-vif) avec opposition concertino-ripieno (les numéros 1, 2, 4, 7, 10 et 11) et des concertos solistes dont la structure en trois mouvements (vif-lent-vif) est celle de l'ouverture à l'italienne. Le soliste virtuose y est confronté seul à l’orchestre (numéros 3, 6, 9, 12 ; les numéros 5 et 8, avec deux solistes, sont à classer dans cette seconde catégorie).
Choisir le très réputé éditeur hollandais était un moyen privilégié d’accéder à la célébrité européenne : L’Estro Armonico parvint, sous forme de copie manuscrite, au fond de la Thuringe, entre les mains de Johann Gottfried Walther, grand amateur de musique italienne, cousin et ami de Johann Sebastian Bach. Ce dernier, alors en poste à Weimar, fut si enthousiasmé par les concertos de Vivaldi qu’il en transcrivit plusieurs pour le clavier : exercice de style impressionnant — tant les caractéristiques musicales du violon et du clavecin sont différentes —, mais diversement apprécié. Ainsi, Roland de Candé remarque : « Pour habile que soit le magnifique travail de J.S. Bach, ces transcriptions n’ajoutent rien à sa gloire. J’avouerai même, au risque de blasphémer, que les concertos vivaldiens, d’essence violonistique, me paraissent tout à fait dénaturés par l’exécution au clavecin ou à l’orgue. ».
On retrouve la trace de Vivaldi à partir de septembre 1711 : il fut, ce mois-là, à nouveau investi de ses fonctions à la Pietà. L’année 1712 voit la création à Brescia de l’un de ses grands chefs-d’œuvre de musique religieuse, le Stabat Mater pour alto, composition poignante et d’une haute inspiration.
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C’est seulement en 1713 — il avait trente-cinq ans — que Vivaldi aborda pour la première fois l’opéra, la grande affaire de tout compositeur de renom dans cette Italie du début du {{s-}}.
Son statut d’ecclésiastique, déjà bien compromis de réputation par son comportement inhabituel, le fit peut-être hésiter à prendre ce tournant plus tôt. Si l’on admirait le virtuose et le compositeur, sa personnalité fantasque et le caractère ambigu de son entourage féminin sentaient le scandale. Or, œuvrer dans le milieu interlope de l’opéra n’était pas le gage de la meilleure moralité, à bien des points de vue ; cette activité jouissait d’un tel succès populaire qu’elle devait nécessairement intéresser les aigrefins de tout poil ou tourner la tête des chanteurs les plus talentueux, dont les caprices, les excentricités et les aventures défrayaient la chronique.
Les méthodes des impresarios étaient parfois d’une honnêteté toute relative. Ainsi, Gasparini et Santurini s’étaient retrouvés au tribunal pour avoir enlevé et rossé deux cantatrices mécontentes de n’avoir pas reçu le salaire convenu — l’une d’elles était même très malencontreusement tombée dans un canal ; la bienveillance des juges avait pu être obtenue grâce à l’intervention de relations influentes…
Venise s’étourdissait dans les fêtes comme pour exorciser son irréversible déclin politique, dont le contrepoint était une floraison artistique sans précédent. La folie de l’opéra en faisait partie : Marc Pincherle a chiffré à quatre cent trente-deux le nombre d’œuvres représentées à Venise entre 1700 et 1743. Comment un musicien de génie et ambitieux pouvait-il rester à l’écart de ce mouvement qui pouvait amener la célébrité et les plus grands succès ?
Le livret du premier opéra de Vivaldi, Ottone in villa fut écrit par Domenico Lalli, en fait le pseudonyme de Sebastiano Biancardi, poète napolitain et escroc à ses heures qui, recherché par la police de Naples, était venu se réfugier à Venise. Les deux hommes s’étaient liés d’amitié. Le nouvel opéra fut créé non à Venise, mais pour une raison inconnue, le 17 mai 1713 à Vicence où Vivaldi s’était rendu, avec son père, après avoir obtenu un congé temporaire des autorités de la Pietà. Pendant son séjour à Vicence, il participa à l’exécution de son oratorio la Vittoria navale predetta dal santo pontefice Pio V Ghisilieri (dont la musique a été perdue) à l’occasion de la canonisation du pape Pie V.
Après Ottone in villa, Vivaldi devait composer un ou plusieurs opéras presque chaque année jusqu’en 1739 : à l’en croire, il en aurait écrit 94. Cependant, le nombre de titres identifiés reste inférieur à 50 et moins de 20 ont été conservés, complètement ou partiellement en ce qui concerne la musique qui, contrairement aux livrets, n’était jamais imprimée.
L’étrange Prêtre Roux ne devait pas se contenter de composer de la musique d’opéras et d’en diriger, avec son violon, l’interprétation. Dès la fin de l’année 1713, il assura, sinon en titre, du moins en fait, la fonction d’« impresario » du Teatro Sant'Angelo — ce terme d’impresario devant s’entendre comme « entrepreneur » en succession de Santurini, douteux homme d’affaires déjà cité plus haut. L’impresario cumulait toutes les responsabilités : administration, établissement des programmes, engagement des musiciens et chanteurs, financement, etc. Malgré ses incommodités physiques — réelles ou prétendues — Vivaldi assuma toutes ces tâches prenantes en y incluant la composition des opéras, sans pour autant renoncer à ses fonctions moins rémunératrices, mais plus nobles à la Pietà ou à composer sonates et concertos pour l’édition ou le compte de divers commanditaires (institutions religieuses, riches et nobles amateurs) : en 1714 il composa pour la Pietà son premier oratorio, Moyses Deux Pharaonis — dont la musique est perdue — et fit éditer à Amsterdam son opus 4 intitulé La Stravaganza. Ce recueil de 12 concertos pour violon dédiés à un jeune noble vénitien de ses élèves, Vettor Dolfin, fixait de façon quasi définitive la forme du concerto de soliste en trois mouvements : Allegro - Adagio - Allegro.
En 1715, il composa et produisit au Sant’Angelo le pasticcio Nerone fatto Cesare ; en visite à Venise, l’architecte mélomane Johann Friedrich Armand von Uffenbach venu de Francfort assista à trois de ses représentations. Il lui commanda des concertos : trois jours plus tard Vivaldi lui en apporta dix, qu’il prétendit avoir composés tout spécialement. Il se fit également enseigner sa technique violonistique et témoigna dans une lettre de l’extraordinaire virtuosité de Vivaldi :
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Pendant les saisons qui suivirent, Vivaldi composa et présenta au Sant’Angelo successivement en 1716, Arsilda, regina di Ponto et en 1717 l’Incoronazione di Dario. Arsilda fut la cause de la rupture avec Domenico Lalli, auteur du livret. En effet, celui-ci fut tout d’abord censuré et Lalli rendit responsable Vivaldi du fait des modifications que ce dernier avait demandées. Cette brouille définitive devait par la suite interdire à Vivaldi de se produire aux théâtres San Samuele et San Giovanni Grisostomo dont Lalli allait devenir l’imprésario attitré.
Mais son activité de compositeur put se développer au San Moisè, pour lequel il composa en 1716 la Costanza trionfante, en 1717 Tieteberga et en 1718 Armida al campo d'Egitto.
Violoniste à la Chapelle de la Cour ducale de Saxe à Dresde, Johann Georg Pisendel vint en 1717 passer une année à Venise aux frais de son prince pour se former auprès du maître vénitien ; à l’exception des jeunes filles de la Pietà, Pisendel devint ainsi l’un de ses seuls disciples connus (les deux autres sont les violonistes Giovanni Battista Somis et {{lien}}). Les deux hommes se lièrent d’une profonde amitié. Lorsque Pisendel retourna en Saxe, il emporta avec lui une collection importante d’œuvres instrumentales de Vivaldi, parmi lesquelles ce dernier lui dédia personnellement six sonates, une sinfonia et cinq concertos portant la dédicace « fatte p. Mr. Pisendel ». Ces pièces se trouvent aujourd’hui à la Landesbibliothek de Dresde.
Les opus 6 (six concertos pour violon) et 7 (douze concertos pour violon ou hautbois) furent publiés à Amsterdam chez Jeanne Roger entre 1716-1721, apparemment sans la supervision personnelle du compositeur et, en tous cas, sans dédicace.
Les opéras de Vivaldi sortirent bientôt des frontières de la République de Venise. Scanderbeg, sur un texte d’Antonio Salvi, fut créé au théâtre de la Pergola à Florence en juin 1718.
Vivaldi ne faisait rien pour passer inaperçu. Arguant de son handicap physique qui ne l’empêchait ni de mener une vie trépidante d’activité, ni d’entreprendre de longs et pénibles voyages, il ne se déplaçait « qu’en gondole ou en carrosse », accompagné dès cette époque d’une étonnante cohorte féminine. Ces dames, disait-il, connaissaient bien ses infirmités et lui étaient d’un grand secours. Leur présence à ses côtés alimentait aussi les rumeurs…
Sur la couverture figurait une amusante caricature de trois personnages-clefs du Sant’Angelo et du San Moisè, naviguant sur une péotte, barque en usage dans la lagune. À l’avant, un ours en perruque (l’impresario Orsatto, assis sur les provisions faites grâce au produit de ses manigances) ; aux rames, l’impresario Modotto, ancien patron de péotte déférant au service du précédent ; à l’arrière un petit ange (Vivaldi) avec son violon, coiffé d’un chapeau de prêtre et marquant le rythme par sa musique pour donner l’allure.
L’auteur était en réalité Benedetto Marcello, musicien et lettré dilettante, qu’opposaient à Vivaldi sa conception de l’existence, sa qualité de membre de la famille propriétaire en titre du Sant’Angelo, alors en litige avec le Prêtre Roux et peut-être une certaine jalousie envers ce rival de génie, issu de la plèbe.
Vivaldi produisit à la fin de l’année 1720 deux nouveaux opéras au Sant’Angelo : La verità in cimento et le pasticcio Filippo, Re di Macedonia. Mais le succès du pamphlet de Marcello suscita peut-être chez lui le désir de « prendre l’air » et de multiplier les voyages pour s’éloigner de temps à autre de sa ville natale. Il partit de Venise à l’automne 1722 pour Rome, muni — de surprenante façon — d’une lettre de recommandation à la princesse Borghèse écrite par Alessandro Marcello, le propre frère de Benedetto.
C’est au cours de ce second séjour qu’il fut reçu avec bienveillance par le nouveau pape Benoît XIII, désireux d’entendre sa musique et apparemment peu préoccupé de la réputation douteuse que ce prêtre si peu conventionnel traînait après lui.
C’est également de l’un de ses séjours romains que date le seul portrait considéré comme authentique, car dessiné sur le vif par le peintre et caricaturiste Pier Leone Ghezzi.
Quelques années plus tard, dans une lettre au marquis Bentivoglio, l’un de ses protecteurs, Vivaldi devait évoquer trois séjours à Rome pendant la période de Carnaval ; cependant aucun autre document ne vient étayer la réalité de ce troisième séjour et l’on pense, d’après d’autres éléments, que le témoignage du musicien n’était pas toujours des plus fiables.
Pendant les années 1723 à 1725, sa présence à la Pietà fut épisodique comme en témoignent les paiements effectués en sa faveur. Son engagement prévoyait la fourniture de deux concertos par mois ainsi que sa présence nécessaire — trois ou quatre fois par concerto — pour en diriger les répétitions par les jeunes musiciennes. Après 1725, et pour plusieurs années, il disparut des registres de l’établissement.
On n’a pas de preuve d’un hypothétique séjour de Vivaldi à Amsterdam à l’occasion de cette publication. Cependant, son portrait gravé par François Morellon de La Cave, huguenot établi aux Pays-Bas à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes plaiderait en faveur de cette éventualité. Un artiste anonyme a également réalisé le portrait d’un violoniste qui passe pour être le Prêtre Roux. Sans être certaine, car le modèle n'est pas nommé, l'identification à Vivaldi est communément admise : ce portrait, conservé au Liceo Musicale de Bologne, est repris en couverture, de plusieurs ouvrages cités en référence (livres de Marcel Marnat, Roland de Candé, de Claude et Jean-François Labie, de Sophie Roughol, de Michael Talbot ...)
De même, l’éventualité d’un séjour à Paris en 1724-1725 semble improbable, même si la cantate Gloria e Himeneo a été composée pour célébrer le mariage de Louis XV et de Marie Leszczyńska le 5 septembre 1725 (une œuvre précédente, la sérénade La Senna Festeggiante, avait peut-être été composée à l’occasion du couronnement du roi de France en 1723). Mais les rapports exacts de Vivaldi avec la monarchie française restent inconnus.
En 1726, Vivaldi monta son opéra Dorilla in Tempe au théâtre Sant’Angelo. Ce fut une de ses jeunes élèves de la Pietà âgée de seize ans, Anna Giró, qui tint le rôle d’Eudamia.
Cette Anna Giró ou Giraud, d’ascendance française, avait débuté deux ans auparavant au théâtre San Samuele dans l’opéra Laodice d’Albinoni. Elle allait bientôt se voir attribuer le surnom de l’Annina del Prete Rosso et jouer dans la vie du compositeur un rôle assez ambigu de cantatrice fétiche, de secrétaire et, en même temps que sa demi-sœur Paolina de vingt ans plus âgée, d’accompagnatrice dans ses voyages, plus ou moins de gouvernante. Bien sûr, la relation particulière entre le prêtre quinquagénaire si peu conformiste et cette jeune personne ne pouvait que susciter les racontars et commentaires chargés de sous-entendus, même si elle n’habita jamais chez lui (elle demeurait avec sa demi-sœur et sa mère tout près du théâtre Sant’Angelo, dans une maison jouxtant le palais Corner-Spinelli sur le Grand Canal).
Carlo Goldoni rencontra Anna Giró chez Vivaldi : son témoignage permet de savoir qu’elle était, sinon jolie, du moins mignonne et avenante.
Sa voix n’avait rien d’exceptionnel et elle n’aimait pas l’aria cantabile, le chant langoureux ou pathétique (et Goldoni ajoute : « autant dire qu’elle ne savait pas les chanter »). En revanche, elle avait un bon jeu de scène et chantait bien les airs d’expression, d’agitation, avec de l’action, du mouvement. Cette appréciation est confirmée par l’abbé Conti qui écrivit dans une lettre à Madame de Caylus, à propos de l’opéra Farnace de Vivaldi : « son élève y fait des merveilles quoique sa voix ne soit pas des plus belles… ».
Elle devait, jusqu’en 1739, chanter dans au moins seize opéras de Vivaldi (sur les quelque vingt-trois que celui-ci allait composer), souvent dans les rôles principaux.
Vivaldi déploya pendant ces années une activité prodigieuse, produisant pas moins de quatre nouveaux opéras en 1726 (Cunegonda puis La Fede tradita e vendicata à Venise, La Tirannia castigata à Prague, enfin Dorilla in Tempe déjà cité) et en 1727 (Ipermestra à Florence, Farnace à Venise, Siroè Re di Persia à Reggio d'Émilie, Orlando furioso à Venise). En 1727 fut également édité à Amsterdam l’opus 9, nouveau recueil de douze concertos pour violon intitulé La Cetra. Ces diverses créations supposent de nombreux voyages, car il ne déléguait à personne le soin de monter ses opéras, qu’il finançait d’ailleurs sur ses deniers personnels. Le 19 septembre 1727, un important concert de ses œuvres (la sérénade L’Unione della Pace et di Marte et un Te Deum dont les partitions sont perdues) fut organisé chez l’ambassadeur de France à Venise, le comte de Gergy, à l’occasion de la naissance des filles jumelles du roi de France Louis XV, Élisabeth et Henriette.
Seuls deux opéras marquent l’année 1728 (Rosilena ed Oronta à Venise puis L’Atenaide à Florence). Mais cette année fut ponctuée par d’autres événements importants : publication à Amsterdam de l’opus 10 consistant en six concertos pour flûte, les premiers jamais consacrés à cet instrument ; décès de sa mère le 6 mai ; en septembre, le musicien est présenté à l’empereur Charles VI du Saint-Empire, fervent mélomane, faisant peut-être à la suite de la dédicace à ce souverain de l’opus 9.
Charles VI (1685-1740)]]
Tableau de Martin van Mytens le jeune
L’empereur avait en vue de faire du port franc de Trieste, possession autrichienne au fond de l’Adriatique, la porte des territoires autrichiens et de l’Europe centrale vers la Méditerranée, et donc de concurrencer directement Venise qui jouait ce rôle depuis des siècles. Il était venu sur place pour établir les bases de ce projet, et rencontra le compositeur à cette occasion — on ne sait où exactement. Le séjour de Vivaldi auprès du souverain aurait pu durer deux semaines, selon une lettre de l’abbé Conti à Madame de Caylus, qui rapporte : « l’empereur a entretenu longtemps Vivaldi sur la musique ; on dit qu’il lui a plus parlé à lui seul en quinze jours qu’il ne parle à ses ministres en deux ans ». L’empereur fut certainement enchanté de cette rencontre : il donna à Vivaldi « beaucoup d’argent », ainsi qu’une chaîne et une médaille d’or, et il le fit chevalier. On ne sait pas, toutefois, si cette rencontre fut suivie d’un possible séjour à Vienne voire à Prague, d’un engagement officiel ou d’une promesse de poste dans la capitale impériale.
C’est en janvier 1733 que Vivaldi fit un retour remarqué — au moins par sa musique — à Venise à l’occasion du transfert à la basilique Saint-Marc des reliques du doge Saint Pietro Orseolo : on y exécuta un Laudate Dominum solennel de sa composition, sans qu’on sache d’ailleurs s’il en dirigea l’interprétation. En février de la même année fut représentée à Ancône une adaptation du Siroé de 1727, puis en novembre au Sant’Angelo fut monté Montezuma et trois mois plus tard, L’Olimpiade, l’un de ses plus beaux opéras repris presque aussitôt à Gênes. C’est cette même année qu’il rencontra le voyageur anglais Edward Holdsworth auquel il expliqua qu’il ne voulait plus faire éditer ses œuvres, trouvant un meilleur profit à les vendre à l’unité aux amateurs. Le même Holdsworth devait, en 1742, acquérir douze sonates de Vivaldi pour le compte de son ami Charles Jennens, librettiste de Haendel.
1735 fut à nouveau une année « record » en matière d’opéras avec deux ouvrages montés au teatro filarmonico de Vérone pendant le carnaval : L’Adelaide et Il Tamerlano et deux autres produits pour la première fois au théâtre San Samuele de Venise : La Griselda et Aristide. Ce furent les deux seules œuvres de Vivaldi composées pour ce théâtre, propriété de la riche famille Grimani qui possédait aussi le prestigieux théâtre San Giovanni Grisostomo et un fastueux palais situé sur le Grand Canal. Elles mirent Vivaldi en contact avec l’un des grands écrivains italiens de son temps, le jeune Carlo Goldoni alors âgé de vingt-huit ans.
La rencontre avec Goldoni est importante, car celui-ci l’a racontée dans deux de ses écrits, témoignages précieux sur la personnalité et le comportement du musicien vieillissant, et, on l’a vu, sur la personne d’Anna Giró.
En 1736 fut créé un seul opéra, Ginevra, principesse di Scozia au teatro della Pergola de Florence. Entre temps, Vivaldi reprit ses fonctions à la Pietà, en tant que maestro dei concerti, aux appointements de cent ducats annuels assortis du souhait qu’il ne partît plus de Venise, « comme les années passées » ce qui indique assez ses absences répétées, et confirme la haute considération qu’on avait pour ses qualités professionnelles. 1736 fut également l’année où Vivaldi perdit celui qui aura orienté, guidé et accompagné toute sa carrière : son père mourut le 14 mai, âgé de plus de quatre-vingts ans.
Parti de Dijon au mois de juin 1739, le Président de Brosses était à Venise le mois d’août suivant ; il écrivit le 29 août à son ami M. de Blancey, une lettre qui reste l'un des témoignages directs sur le Prêtre Roux :
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Frédéric-Christian, Électeur de Saxe]]
Portrait par Anton Raphael Mengs, Château de Weesenstein (Saxe)
Depuis des années déjà, l’opéra napolitain tendait à supplanter à Venise la tradition opératique locale personnifiée par Vivaldi. Ce dernier, malgré certaines concessions au goût nouveau dans ses œuvres récentes, symbolisait le passé pour un public toujours avide de nouveautés. Son temps était passé, certainement en avait-il conscience et cette constatation allait peser dans sa décision de s’éloigner de Venise, qu’Anna Giró avait elle-même quitté quelque temps plus tôt pour se joindre à une troupe théâtrale en séjour dans l’empire des Habsbourg.
Pour l’heure, il composait son dernier opéra, Feraspe, présenté au Sant’Angelo en novembre. L’année 1740 fut la dernière pendant laquelle Vivaldi fut présent à Venise. Au mois de mars, un grand concert fut donné à la Pietà, au cours d’une fête somptueuse, en l’honneur du prince-électeur de Saxe Frédéric-Christian, comprenant une sérénade du maestro di coro Gennaro d’Alessandro et plusieurs compositions de Vivaldi dont l’admirable concerto pour luth et viole d’amour RV540.
Ce devait être le dernier concert de prestige auquel il participa. Quelques semaines plus tard, au mois de mai, après avoir vendu à la Pietà un lot de concertos, Vivaldi quittait Venise où il ne devait plus revenir. S’il n’en avait pas conscience, tout au moins prévoyait-il une assez longue absence, car il prit soin de régler certaines affaires.
On ne sait pas quelle était la destination prévue au départ de Venise, et plusieurs hypothèses ont été proposées : Graz, où il aurait pu retrouver Anna Giro ; Dresde, où il jouissait d’une grande réputation, où travaillait son ami Pisendel et où il aurait pu trouver la protection du prince-électeur rencontré récemment à Venise ; Prague, où avaient été représentés plusieurs de ses opéras ; Vienne évidemment, où l’attendait peut-être l’Empereur Charles VI. Quelle que dût être sa destination finale, il semble que Vivaldi avait l’intention de participer à une saison d’opéras au Theater am Kärntnertor de Vienne et c’est près de cet établissement qu’il logeait. Seule une plaque posée en 1978 rappelle la présence et la mort à Vienne de Vivaldi, sur le lieu où il fut enterré. L'ancien Theater am Kärntertor près duquel était la maison ou mourut Vivaldi. Mais le 20 octobre, l’empereur mourait : son deuil interdisait toute représentation et Vivaldi n’avait plus de protecteur ni de ressources assurées. Le mystère plane sur les conditions précaires dans lesquelles il vécut ses derniers mois. Le dernier de ses écrits qu’on ait retrouvé est un reçu de douze florins, en date du 28 juin 1741, pour la vente de concertos à un certain comte Vinciguerra di Collalto. Vivaldi décéda d’une « inflammation interne », pauvre et dans la solitude, le 27 ou le 28 juillet dans la « maison Sattler » appartenant à une certaine veuve Wahler. Cette maison, non loin du Theater am Kärntnertor et du Burgerspital, fut détruite en 1858. Le 28 juillet, le service funèbre fut célébré à l’église Saint-Étienne suivant le cérémonial réservé aux indigents. On a longtemps imaginé que parmi les enfants de chœur présents à l’office figurait un jeune garçon du nom de Joseph Haydn. Le cimetière du Burgerspital où fut reçue sa dépouille a aujourd’hui, lui aussi, disparu. Une simple plaque rappelle son souvenir.
La mort du musicien fut connue à Venise au mois de septembre suivant dans l’indifférence générale. « Il avait gagné en un temps plus de 50000 ducats, mais sa prodigalité désordonnée l’a fait mourir pauvre à Vienne » : telle est l’épitaphe anonyme retrouvée dans des archives vénitiennes, les Commemoriali Gradenigo.
Un des signes particuliers de Vivaldi était sa chevelure rousse à laquelle il devait son surnom, il Prete rosso. On sait aussi, par l’esquisse de Ghezzi qu’il avait un long nez aquilin, des yeux vifs et la tête enfoncée dans les épaules. Bien qu’ayant tôt cessé de dire la messe, il continua sa vie durant à porter l’habit ecclésiastique, à lire assidûment son bréviaire et à faire preuve d’une grande dévotion. La description de Goldoni laisse l’impression d’une agitation fébrile et d’une grande nervosité.
Le handicap physique dont il se plaignait était une sorte d’asthme peut-être lié à sa nervosité, à une angoisse chronique. Sans aller jusqu’à parler d’une maladie imaginaire, les biographes s’étonnent de ce que cette infirmité lui ait interdit de dire la messe, mais aucunement de déployer pendant toute sa carrière une activité débordante et d’entreprendre de nombreux voyages, fort fatigants à l’époque, en Italie et dans toute l’Europe centrale : violoniste virtuose, professeur, chef d’orchestre, musicien animé d’une furie de composition comme le note le Président de Brosses, impresario d’opéras, le rythme semble ne jamais se ralentir et ferait penser à celui de Haendel qui, lui, jouissait d’une santé à toute épreuve.
La nature exacte de ses rapports avec les femmes de sa compagnie reste mystérieuse, même s’il a toujours protesté de leur parfaite honnêteté : il n’aurait éprouvé pour Anna Giró et sa sœur aînée Paulina qu’une amitié voire une sorte d’affection paternelle. Les historiens acceptent ses explications, faute de preuves tangibles du contraire, mais les contemporains ne se privaient pas d’imaginer bien des choses, ce qui lui valut quelques problèmes avec les autorités ecclésiastiques (annulation d’une saison d’opéras à Ferrare notamment).
Son rapport à l’argent est mieux connu et transparaît dans ses écrits : Vivaldi était très attaché à la défense de son intérêt financier, sans le mettre toutefois au-dessus de son amour de la musique. Ses gages à la Pietà étaient fort modestes, mais avaient pour contrepartie de pouvoir disposer d’un laboratoire de qualité et d’une couverture d’honorabilité. Il est probable qu’il ait gagné à certains moments des sommes importantes, mais sans jamais bénéficier d’une position stable qui lui permît de rendre régulières ses rentrées financières et au prix d’une certaine prise de risques personnels dans le montage de ses opéras. Il traînait avec lui une réputation de prodigalité, qui se comprend quand il affirmait, avec une certaine affectation, ne se déplacer qu’en voiture ou en gondole, et avoir besoin de disposer en permanence de personnes connaissant ses problèmes de santé.
Il était animé d’une certaine vanité voire vantardise, entretenant soigneusement la légende de sa rapidité de composition (il nota sur le manuscrit de l’opéra Tito Manlio : musique faite par Vivaldi en cinq jours) ainsi que sa familiarité avec les Grands : dans une lettre au marquis Bentivoglio, il indiquait non sans fierté qu’il correspondait avec neuf altesses…